Brooke Candy : My Sex

Avec My Sex, Brooke Candy propose le concentré d’un manifeste queer. Au son d’un rap industriel, Brooke Candy et ses invité.e.s – Mykki Blanco, MNDR, Pussy Riot – égrènent des propositions pouvant paraître paradoxales et définissant de nouvelles (non)identités, de nouveaux modes du corps et de la relation, de nouvelles figures de la sexualité.

Le sexe, la sexualité se disent au pluriel et correspondent moins aux catégories de pratiques ou d’identités supposément naturelles qu’à des manières de se définir soi-même, de s’extraire des normes communes subjectives, sociales et politiques : pas d’Eglise, pas d’Etat. « My sex rules » serait l’expression d’une appropriation singulière du sexe, l’énoncé d’un rapport au sexe dans lequel celui-ci est par définition polymorphe, variable, relatif, indépendant de toute nature déterminante comme de toute Loi structurelle, sociale ou culturelle, indépassable. Le sexe est le siège d’une autodétermination, d’un rapport à soi et aux autres autonome, l’occasion d’un empowerment et d’une créativité.

L’insistance du Je et du Moi (« I », « My ») dans les paroles marque la revendication de cette singularité et de cette appropriation. Cette insistance vaut comme énoncé politique autant que subjectif : l’action et la transformation politiques passent par de nouvelles subjectivités, par de nouveaux rapports à soi et aux autres. Affirmer que « My sex is my weapon » correspond moins à la valorisation  d’une sexualité comprise comme rapport de domination qu’à la mise en avant du sexe comme arme politique, comme stratégie, comme moyen d’inclusion ou d’invention de nouveaux possibles. Cette idée du sexe implique une subversion et une plasticité des sexualités, des genres, des places dans le discours. Dans My Sex, c’est Mykki Blanco, musicien et chanteur Noir et queer, qui énonce : « Yes, I’m a feminist, with a black dick who says ‘bitch’ », et la chanteuse MNDR peut dire à son tour « I got a dick, you got a dick / I got a clit, you got a clit / You wastin’ time defining it », affirmant le caractère paradoxal et mutant des corps, des sexes, des sexualités lorsqu’ils sont vécus et énoncés du point de vue des singularités, devenant par là indéfinissables, polymorphes, incluant des possibles étranges et nouveaux.

Tout est mêlé et possible dans My Sex : le chanteur Noir, la chanteuse Blanche, la bite de la femme, le féminisme de l’homme, la sexualité marginale, hors-norme, chantée par Brooke Candy et la dissidence politique et féministe des Pussy Riot, etc. Chacun des termes ainsi convoqués ne l’est que dans la mesure où, dans la chanson, il ne correspond jamais à telle identité prédéfinie, à tel cliché – même ce qui relève du cliché est ici subverti et pensé comme arme politique –, et peut au contraire être lié à ce qui le fera sortir de la signification qui est supposée être la sienne, des rapports subjectifs et de pouvoir qui le rendent possible habituellement (les artistes invité.e.s dans ce morceau participant déjà, dans leur travail personnel, d’une façon ou d’une autre, à une telle subversion). Brooke Candy convoque et relit le sexe, le genre, le politique, la « race », la logique du discours selon des rapports plastiques, mobiles qui impliquent une sortie hors des règles et normes communes de la pensée, du corps, des subjectivités, affirmant un mode d’être et de vie queer qui est immédiatement politique et libérateur.

Hymne critique, invitant à l’invention de soi, My Sex organise une musique électronique qui privilégie les vibrations et percussions synthétiques, les répétitions et fréquences basses, produisant par là un flux de sonorités multiples qui pourraient être le bruit de corps inédits qui se mêlent et jouissent, le chant de vagues de sensations et de plaisir inédits.