Nakhane : Clairvoyant

Extrait de l’album You Will Not Die, de Nakhane, « Clairvoyant » est placé sous le signe du rêve et de l’image.

La logique est onirique : « When I closed my eyes I saw prairies / Someone out there was being buried, oh ». Les images sont allusives, l’ensemble du texte est elliptique, proche d’un poème surréaliste, juxtaposant des images et propositions hétérogènes, non fermées sur elles-mêmes. La signification demeure flottante, le texte étant davantage suggestif que clairement signifiant.

Il est question du rêve, d’images, de visions, de mort. Il est aussi question d’un rapport  à un autre qui n’est pas nommé, défini, auquel on s’adresse, auquel on pense, auquel on est lié ou voudrait l’être par un sentiment qui lui-même n’est pas précisé mais qui convoque la servitude, la soumission comme le plaisir, l’attente, l’espoir.

Celui-ci qui ferme les yeux pourrait être aussi bien celui qui a été enterré. Parle-t-il du fond de son sommeil ou du plus profond de la mort ? S’agit-il d’une rêverie diurne mêlant le souvenir, le fantasme, l’introspection, le désir ? S’agit-il des mots d’un amant se souvenant d’un amour perdu ou s’abandonnant à un amour présent ? Est-il question d’un corps mort ou d’un corps qui se vit comme enterré, enfermé dans le cercueil qu’il est et rêvant d’autre chose, d’un amour comme fuite hors de la mort qu’est sa vie ?

Dans le texte, revient l’image de l’agneau qui joue sur la prairie comme l’évocation d’une innocence joyeuse mais aussi, peut-être, comme une référence biblique. « I look to you » / « Je m’en remets à toi », ou « Je compte sur toi », pourrait ainsi être lu comme l’adresse à un amour autant que comme un appel, un abandon à Dieu qui serait lui aussi la forme d’un amour.

Celui qui rêve serait aussi celui qui est mort. La relation charnelle à l’aimé pourrait être relation à Dieu – Dieu se confondant peut-être avec l’amant, sa chair et son corps. A moins que la juxtaposition de Dieu et de l’aimé ne soit l’indice d’une tension, d’un conflit. Les identités ne sont pas fixées – seuls existent des sentiments, des émotions, des images, une pensée qui juxtapose, brouille, confond, énonce sa propre confusion, son trouble, son désir : pensée et corps, sensualité et mysticisme, désir vivant et corps qui a peut-être basculé dans la mort, irrémédiablement inatteignable…

La musique extrêmement rythmée, privilégiant justement la basse et la batterie, traduirait la frénésie d’un cœur qui bat, l’agitation d’un corps qui cherche autant qu’il est traversé d’émotions confuses et contradictoires. Et l’esprit est traversé de ce qui le dépasse et ne peut être dit – mais non défini ou ordonné – que par le poème et la musique.

Entre Grace Jones et Jean Cocteau, ou Jean Genet, « Clairvoyant » est le poème techno-pop d’un trouble extrême, d’un égarement aveugle, d’un corps qui désire, d’un esprit écartelé, d’un appel, d’un espoir peut-être mort, peut-être rempli d’amour, dans lequel disparaître, dans lequel vivre…