Les Johnny Mafia : Princes de l’Amour

Johnny Mafia © Jean-Philippe Cazier

Le deuxième album des Johnny Mafia est particulièrement réussi. Princes de l’Amour prolonge Michel Michel Michel, sorti il y a deux ans, poursuivant dans la veine punk-rock-garage qui était déjà parfaitement maîtrisée. Pour ce nouvel album, les Johnnny Mafia ont été rejoints par le légendaire producteur américain Jim Diamond, connu, entre autres, pour ses collaborations avec les White Stripes.

Fidèles aux Ramones, les Johnny Mafia proposent ici onze titres percutants, brefs, puissants, avec un art du cisèlement qui les singularise. Quasiment chaque titre commence directement, sans introduction, plongeant immédiatement l’auditeur au centre de l’énergie sonore qui est déployée. Car c’est avant tout cette énergie, cette puissance sonore qui est recherchée et concentrée dans chaque composition, rapprochant l’ensemble de l’album des conditions du live. Les choix faits par Jim Diamond et par les membres du groupe privilégient la mise en avant des instruments autant que des voix, créant une seule nappe sonore saturée d’énergie et de l’électricité des guitares.

A l’écoute, le soin apporté à la production est évident mais aussi, à l’intérieur d’une énergie rendue de la façon la brute, le raffinement des effets, des accords, avec une recherche mélodique toujours affirmée et subtile, recherche servie par un travail vocal et choral élaboré, puissant et, au final, beau.

A l’intérieur d’une production hexagonale qui ne brille pas – c’est le moins que l’on puisse dire – par son inventivité et son talent, les Johnny Mafia font partie des quelques groupes et artistes français qui ressortent nettement du lot, non pas par simple contraste avec la médiocrité ambiante, mais par leur talent réel. Princes de l’Amour est certainement un disque qui pourrait marquer non seulement le rock hexagonal mais aussi la production punk rock et garage en général, certains des titres de l’album ayant, de fait, l’étoffe d’hymnes classiques.

Quand je vous ai interviewés, il y a deux ans, vous sortiez Michel Michel Michel. Aujourd’hui, je vous retrouve avec un nouveau disque produit par quelqu’un qui n’est pas n’importe qui, puisqu’il s’agit de Jim Diamond. Comment a eu lieu la rencontre ?

Fabio : Jim Diamond est venu nous voir à Nîmes, après un concert, et il nous a proposé d’enregistrer avec lui. C’est très simple, en fait, comme rencontre.

C’est quelqu’un avec qui vous aviez envie de travailler, indépendamment de sa renommée ?

Théo : On cherchait d’abord un bon studio, un bon ingénieur du son. On avait déjà des idées assez précises sur le type de son que l’on voulait. Jim Diamond nous a écoutés et il a cherché à réaliser nos idées, en les développant aussi.

Comment s’est passé le travail avec lui ? Les morceaux étaient déjà composés avant d’entrer en studio ?

Théo : Oui, les morceaux étaient composés, on n’a pas les moyens de passer deux mois à composer en studio.

Fabio : On avait eu l’occasion de tester le studio avant d’enregistrer. On avait déjà une idée des possibilités de ce studio, qui se trouve à Montpellier. En studio, Jim Diamond était très à l’écoute de ce qu’on voulait et proposait.

William : Mais il donnait aussi des idées. En particulier sur les arrangements. Ou sur l’anglais… Avec lui, on a introduit certains instruments, certains effets, un piano sur un morceau.

Johnny Mafia © Jean-Philippe Cazier

Ce qui est frappant, à l’écoute, c’est la façon dont il met l’ensemble des sons, l’ensemble des instruments et des voix, en avant. Tout est mis sur le même plan frontal, et très fort. La voix n’est pas en avant, détachée des instruments qui seraient en arrière, mais tout est fondu en un même plan.

Théo : Le mixage est ce qui a pris le plus de temps. Jim Diamond nous avait envoyé un premier mixage qui ne nous convenait pas tout à fait. On lui a demandé de retravailler dans une autre direction, plus en rapport avec ce qu’il avait fait au tout début de notre collaboration.

Fabio : Le mixage a été assez délicat et long parce que c’est un travail qui s’est fait surtout par correspondance, à distance. Nous, nous étions à droite à gauche, et lui était entre Montpellier, La Grande-Motte, et Détroit. Pour le mixage, le résultat sonne beaucoup comme le son habituel de Jim Diamond, avec un son très costaud. L’album qu’il a fait avec les Sonics sonne comme ça, il n’y a pas d’instrument qui prendrait le dessus sur les autres.

Qu’est-ce qui vous plait dans ce mixage, dans cette façon de tout fondre en un seul plan sonore très frontal ?

William : Ça correspond au son que l’on a en concert. Et c’est plus proche de la façon dont on compose.

C’est aussi une façon de produire l’effet que vous recherchez, qui est de dégager le maximum d’énergie, de puissance. Dans les morceaux, par exemple, le plus souvent il n’y a pas d’introduction, on est tout de suite dans le rythme, le son très fort, le chant. Ce qui me plait aussi beaucoup, c’est le travail sur les guitares, la façon dont les guitares ne sont pas seulement un instrument qui accompagne, parmi d’autres, mais le son des guitares enrobe ou englobe chaque morceau, elle sature l’ensemble, c’est une nappe sonore générale plus qu’un son à part. Dans certains morceaux, on a affaire avec un mur sonore de guitares, c’est très beau. Comment travaillez-vous cette place particulière de la guitare dans tel ou tel morceau, comme dans Ride par exemple, qui est un de mes morceaux préférés ?

Théo : On a parfois des guitares qui sont doublées, pour amplifier le son.

Fabio : On a aussi utilisé simultanément des effets différents, un peu décalés.

Théo : Dans le premier album, l’album précédent, on avait surtout insisté sur l’aspect « live » du son, avec moins d’effets de ce type.

Fabio : Mais c’est évident que l’on aimerait tester plein de trucs, des effets variés.

Théo : J’ai l’impression que l’on tend quand vers ça depuis le début, avec l’emploi de fuzz, de la réverb. Ce sont des effets qui servent à grossir le son, à le rendre plus ample et plus puissant.

Fabio : Pour le dernier album, on a aussi utilisé des échos et du chorus. A la fois ça gonfle le son et ça crée une texture particulière.

En fonction de ces effets et de cette puissance du son que vous voulez produire, comment est-ce que vous travaillez la composition des morceaux ? Quand vous composez, vous pensez déjà à ces effets, vous les prévoyez à l’avance en élaborant la composition ?

Théo : Oui, on y réfléchit à l’avance. Ça fait déjà un moment qu’on fonctionne avec certains effets en tête, et les intégrer dans la composition, en les prévoyant, se fait naturellement.

William : On y pense de manière assez précise, on se dit qu’à tel moment la batterie devra faire ceci ou cela, tel effet particulier. Maintenant, ce sont des choses qui viennent spontanément.

Enzo, tu es le nouveau batteur du groupe. Comment t’es-tu intégré parmi les Johnny Mafia ?

Enzo : Ils m’ont donné des noms de groupes et des disques à écouter. Leurs références ne correspondaient pas à la musique que j’écoutais ou à ce que je faisais. J’ai écouté les Ramones, etc. Je me suis calé sur toutes ces références pour ce que j’ai fait au cours de l’enregistrement de l’album.

Pour les paroles, Théo, c’est toujours toi qui les écris ?

Théo : Dans le précédent album, les paroles n’étaient pas, disons, très recherchées. Pour celui-ci, j’ai un peu plus travaillé les textes. Dans ACO, il y a l’histoire d’un homme-tronc qui est largué par sa femme, et il doit ramper pour essayer de la retrouver…

Johnny Mafia © Jean-Philippe Cazier

Avec la sortie de l’album, vous allez faire des concerts ?

William : On ne s’arrête jamais vraiment de faire des concerts. Là, on en a un certain nombre de prévus jusqu’en décembre.

Comme l’album est produit par Jim Diamond, peut-être des concerts aux États-Unis ?

William : On a fait quelques concerts au Québec. Pour les USA, on verra.

Fabio : Comme on a signé sur la branche américaine de Dirty Water Records, ce n’est pas impossible.

Un mot sur la pochette, qui est très belle?

Théo : Comme pour tous les visuels, c’est ma sœur qui l’a composée. Le décalage entre le titre de l’album, Princes de l’Amour, qui est déjà ironique, et les dessins de la pochette, est voulu par elle. On lui a indiqué le titre du disque, elle a écouté des morceaux et, à partir de là, elle a suivi son idée.

Johnny Mafia, Princes de l’Amour, sortie le 9 novembre 2018. A l’occasion de la sortie de l’album, les Johnny Mafia seront en concert à La Maroquinerie le 30 novembre. A noter également qu’un concert très prometteur réunira les Johnny Mafia et les Psychotic Monks le 17 novembre à L’Astrodøme de Bordeaux.