« Atom Agency » de Yann et Schwartz : un bijou qui dégomme

Le monde de la BD peut s’enorgueillir de compter un nouveau héros : Atom Vercorian, détective privé en devenir, casse-cou, séducteur et tenace. Bref, un enquêteur comme on en faisait plus, depuis Gil Jourdan, Marc Jaguar ou Ric Hochet. Mais bien plus qu’une (re)naissance, Atom Agency est un diamant graphique signé Olivier Schwartz et Yann qui a concocté un scénario finaud et des dialogues lettrés que ne renieraient pas Audiard ou Simonin.

Depuis Les enquêtes de l’inspecteur Bayard (Bayard Presse, 16 tomes parus), on aime Olivier Schwartz pour son dessin franco-belge moderne, tout en précision et en références. Depuis Les Innommables (Dargaud, 12 tomes parus), on aime Yann et sa verve provocatrice, ses collaborations avec Conrad, Berthet, Léturgie, Morris… Et l’on adore le duo qui a réalisé trois albums de la série Spirou et Fantasio par… (Le Groom vert-de-gris, La Femme léopard & Le Maître des hosties noires) et l’inoubliable Gringos Locos qui retrace l’hilarante épopée de Franquin, Jijé et Morris au pays des comics.

Ciel ! Ses bijoux !

La formule est célèbre (et gravée dans la mémoire des bédéphiles biberonnés à Hergé) mais le saviez-vous ?, la phrase « Ciel ! Mes bijoux ! » a été prononcée la première fois en 1949 par Yvonne Blanche Labrousse, plus connue sous le nom d’Om Habibeh – aka la Bégum –, ex-Miss France et épouse de l’Aga Khan III. Croisant faits avérés, personnages existant ou ayant existé et fictionnalisation, Les Bijoux de la Bégum est un polar finement troussé qui trouve son inspiration dans l’histoire du crime avec un grand B comme banditisme ou Bégum quand Paul Leca et ses complices se sont risqués (et ont réussi) à voler une mallette remplie de bijoux dont la valeur s’élevait à 220 millions de francs de l’époque. Point de départ de l’enquête, le braquage perpétré sur les hauteurs de Nice est pour le jeune détective désargenté l’opportunité de lancer son agence d’investigation.

C’est toute l’intelligence du scénario de Yann que de chercher dans les replis de la réalité et du passé ce qui va nourrir sa trame fictionnelle : le passé de la Bégum, ex reine de beauté, diseuse de bonne aventure à ses heures, les bijoux manquants alors qu’une grande partie sera restituée in fine, les belles heures du Paris des années 50, les soirées à Pigalle, le catch au Cirque d’Hiver et le 36 (Quai des Orfèvres) où officie le papa d’Atom, commissaire de Police et ancien résistant. Yann a certainement pris plaisir à voyager dans le temps, de Paris à Marseille, au cœur de la communauté arménienne (Atom est un cousin de Charles Aznavour), des bas-fonds jusque dans les sphères fortunées de l’immédiat après-guerre. Pour preuve, la virtuosité avec laquelle il croque aussi bien l’Aga Khan (amoureux transi d’Yvette à laquelle il donne des surnoms tendres et imagés jusqu’au ridicule), les figures de la pègre phocéenne, les policiers parisiens et quelques vilains d’invention qui donnent à cette aventure des allures de thriller chic et choc.

 

Dans cette atmosphère passéiste, le dessin de Schwartz est éclatant de rigueur (le soin porté aux décors, aux vêtements, à la géographie) et de sensualité, à l’image de Gringos Locos les couleurs donnent corps et vie aux personnages et aux lieux. Et les cadrages renvoient aux belles heures du cinéma de genre, avec l’alternance de plans serrés et de cases au mouvement quasi cinématographique. Atom Agency, bien plus que de créer un nouveau détective, se donne comme une réécriture savoureuse, agrégeant ce qui a fait le piquant de nombreux livres et BD : des figures, des lieux, des dates, n’hésitant pas (on reconnaît la patte de Yann) à jouer sur les ambivalences, les zones d’ombre du passé, les non-dits historiques et les secrets de famille pour mieux dépasser le seuil du « simple » divertissement.

Un album qui fait date(s) donc, avec la venue d’Atom au pays des détectives de papier, Les bijoux de la Bégum remonte le temps et augure du meilleur pour la suite des aventures « atomiques ».

 

Yann & Schwartz, Atom Agency, Les bijoux de la Bégum, 56 p. couleur, Dupuis, 15 € 95 — Les premières planches (sur le site de Dupuis)