Undertaker, « L’Ogre de Sutter Camp » : oubliez l’ouest terne…

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Quelque chose est en train de se passer dans l’Ouest américain et dans les bacs de nos libraires préférés. Car si les rayons se remplissent toujours d’aventures d’as de la gâchette ou d’Indiens malmenés par l’homme blanc et la modernité galopante, Comment ne pas souligner la dimension littéraire du troisième tome d’Undertaker, L’Ogre de Sutter Camp, signé Ralph Meyer, Caroline Delabie et Xavier Dorison, tant l’arrivée d’un vilain charismatique vient bousculer les codes de la BD de genre ?

Jeronimus Quint - Undertaker T3
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Jeronimus Quint est un docteur itinérant comme on en croise chez Lucky Luke (Dr Doxey) ou dans les western spaghetti, un de ces personnages souvent réduits au rôle de comparses et souvent caution comique. Sauf que le charlatan de Dorison est bien plus noir, bien plus énigmatique, bien plus dangereux que ses homologues de papier ou de pellicule. Jonas Crow, Rose Prairie et Lin (sans oublier Jed le vautour) ont pris la route et cheminent de contrats en contrats pour enterrer à la demande. Sauf que le croque-morts ombrageux et (jusque-là) solitaire n’est pas ravi de cette association forcée (voir épisodes précédents) devant composer avec deux fortes personnalités féminines (voire féministes), lui, l’ex-militaire toujours recherché pour meurtre.

Jonas Crow - Undertaker
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Le passé rattrape toujours ceux qui en ont un. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que si Jonas, Rose et Lin semblent pour longtemps voués à fuir leurs histoires respectives, celles-ci sont des chaînes que le trio porte avec difficulté et résignation. Alors quand Jonas est contraint d’accepter d’inhumer l’épouse d’un ex-officier sudiste – ancien compagnon d’armes et de détention – le boulet se révèle encore plus difficile à traîner.

Et c’est là que tout bascule : l’ex-Colonel annonce à Jonas que « l’ogre de Sutter Camp » est toujours vivant. Et qu’il continue à tuer. La nouvelle signe l’intrusion du thriller sur les sentiers jusque-là bien balisés du western : le médecin monstrueux qui a profité de la guerre de Sécession pour se livrer à des expériences médicales plutôt tordues (comme par exemple amputer le Colonel pour tenter de lui greffer le bras d’un autre) est un modèle de serial killers comme on retrouve chez Maxime Chattam, James Ellroy, Larson, Ann Rule, Thomas Harris… Fascinant, brutal, démoniaque, Jeronimus Quint est glaçant d’inhumanité et de « séduction » perverse. Rose Prairie en souffrira physiquement et psychologiquement et Jonas Crow, animé par le désir de vengeance, devra en passer par la soumission à ses propres sentiments.

Undertaker T1
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Si les épisodes précédents (Le Mangeur d’or et La Danse des vautours) étaient bien plus que prometteurs avec l’arrivée d’un « héros » singulier à plus d’un titre (un ordonnateur des pompes funèbres… pourquoi pas un ex-lieutenant de l’armée de l’Union tant qu’on y est !), L’Ogre de Sutter Camp ravive une flamme pourtant bien loin de s’éteindre. Les héros de l’ouest ne manquent pas dans la bande dessinée (franco-belge ou non), et il semblerait qu’on assiste même à retour en force des garçons vachers en marge de l’anniversaire de l’incontournable Lucky Luke (70 ans et magnifiquement revisité cette année par Mathieu Bonhomme et Guillaume Bouzard), le récent Gus de Christophe Blain, et l’arrivée de nouvelles séries telles L’Or de Morrison de Seiter et Brecht, Duke de Yves H. et Hermann, Stern (autre croque-morts de Frédéric et Julien Maffre), il suffit de s’arrêter un instant devant certaines têtes de gondoles pour s’en rendre compte…

Fred Schwamberger sur Twitter
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Undertaker T3 L'Ogre de Sutter CampServies par un scénario sans failles instillant une ambiance noire et mortifère et des dialogues tout en finesse et en psychologie, les aventures de l’undertaker de Delabie, Meyer et Dorison sont de surcroît d’une puissance graphique hors norme : si ce troisième opus est majoritairement nocturne, la somptueuse mise en couleur de Caroline Delabie fait de cet Ogre un album tour à tour crépusculaire et lumineux qui emporte le lecteur. Le cadrage, avec l’alternance de plans serrés et gros plans qui s’échappent en de véritables travellings arrière et de panoramiques et plans larges, a été soigné à l’extrême et renforce la sensation de visionner un film de Sergio Leone ou de Sam Peckinpah. Oubliez l’ouest terne donc.

Ralph Meyer, Caroline Delabie et Xavier Dorison, Undertaker T3, L’Ogre de Sutter Camp, 64 p., Dargaud, 13 € 99

Les premières planches :

Undertaker T3 - Dargaud
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Undertaker T3 - Dargaud
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