Hervé Guibert : La Mort propagande

Hervé Guibert © Christine Marcandier

La Mort propagande est une somme, celle d’une vie, autoportrait troublé et troublant en douze courts chapitres, celle d’une œuvre. Comment ne pas s’étonner qu’Hervé Guibert, qui médiatisera sa maladie, véritable installation artistique et cri, écrive, dès 1977 : « À l’issue de cette série d’expressions, l’ultime travestissement, l’ultime maquillage, la mort.

On la bâillonne, on la censure, on tente de la noyer dans le désinfectant, de l’étouffer dans la glace. Moi je veux lui laisser élever sa voix puissante et qu’elle chante, diva, à travers mon corps. Ce sera ma seule partenaire, je serai son interprète. Ne pas laisser perdre cette source de spectaculaire immédiat, viscéral. Me donner la mort sur une scène, devant des caméras. Donner ce spectacle extrême, excessif de mon corps, dans ma mort. En choisir les termes, le déroulement, les accessoires. (…) Qui voudra bien produire mon suicide, ce best-seller ? Filmer la piqûre qui donne la mort la plus lente, le poison qui pénètre avec le baiser en coulant d’une bouche à l’autre (mon nom est Fatalité) ? ».

La Mort propagande est cette scène, ce théâtre d’un corps qui s’exhibe dans ses sécrétions, déjections, éjaculations. Un texte cru, au sens étymologique du terme : le sang coule, mais aussi le sperme, la pisse, la merde, les larmes. Érotique et pornographique, tour à tour, «Hollywood et Babylone». Excitant, écœurant. Montrer, forcer le lecteur à adopter une position de voyeur, passive et active, à voir, à « emmagasiner un matériel pornographique ».
« L’œil s’affaire ? Qui regarde ? (…) L’œil aspire. (…) L’œil reçoit, s’aveugle ».

La Mort propagande est un bilan, un centon. A vingt et un ans, Guibert revient sur son enfance, cherche les dégoûts et pulsions qui ont forgé un univers fantasmatique, il creuse l’intime, interroge les frontières du représentable, du dicible. Il accumule les références littéraires également, additionne, convoque aussi bien l’imaginaire de l’œil d’un Bataille, que Genet, Bacon, Guyotat ou Severo Sarduy. Laboratoire – en un sens aussi bien médical qu’expérimental, littéraire qu’artistique –, le texte s’offre, s’exhibe comme un jeu verbal, une exploration lexicale, formelle, en une poésie du corps devenu décor, exposition, spectacle.

« Mon corps est un laboratoire que j’offre en exhibition, l’unique acteur, l’unique instrument de mes délires organiques. Partitions sur tissus de chair, de folie, de douleur. Observer comme il fonctionne, recueillir ses prestations ».

Comme l’écrivit magnifiquement Foucault de Guibert, il s’agit de « ces formes de travail qui ne s’avancent pas comme une œuvre, mais qui s’ouvrent parce qu’elles sont des expériences ». Un « autoportrait cassé », « petit journal amoureux » et pornographique. Un texte scandaleux, « anarchique », écrit l’auteur, terroriste et paroxystique.

Hervé Guibert, La Mort propagande, L’Arbalète Gallimard, 2009 (premier livre publié par Guibert, aux éditions Régine Deforges en 1977, Guibert a 21 ans), 136 p., 12 € 50 — Lire un extrait