La sensualité des livres : un documentaire Arte

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Comment le livre imprimé peut-il résister à la montée en puissance du numérique ? Comment expliquer, qu’à l’heure d’Internet et des livres sur liseuses et écrans, on puisse encore construire un générique de documentaire sur des images de lecteurs plongés dans un livre papier, sur des marches au cœur d’une ville, dans les transports en commun, au fond d’une librairie ? Sans doute le livre, en tant qu’objet imprimé, ne survivra-t-il qu’en se concentrant sur ce qui fait sa singularité et sa force : sa matérialité, soit un poids, une texture, une odeur, i.e. une expérience sensuelle qui n’est pas liée au contenu (le numérique l’offre tout autant) mais à l’objet. Tel est le sujet du documentaire allemand, signé Katja Duregger, qu’Arte diffuse dimanche à 17h25, passionnante rencontre avec des fous de livres, collectionneurs, éditeurs, imprimeurs, auteurs.

Arte La sensualité du livre
Arte, La sensualité des livres (capture d’écran du documentaire)

On pourrait ergoter sur les quelques faiblesses de ce documentaire, un peu fourre-tout et parfois répétitif, sur quelques remarques qui ont le don de hérisser le poil — cet éditeur allemand considérant que les libraires ne connaissent rien au graphisme — mais passons outre : les rencontres que propose ce film sont passionnantes, tout comme l’hymne au livre en tant qu’objet et non seul plaisir du texte. Un livre, c’est une œuvre d’art, une création lente et patiente, un travail collectif d’imprimeurs, graphistes, éditeurs. Les images de Katha Duregger nous montrent les presses, la pâte épaisse de l’encre, les papiers tandis que se prépare l’édition d’un livre posthume de Günter Grass chez Gerhard Steidl à Göttingen. L’éditeur (fondateur avec Karl Lagerfeld de la maison LSD) prépare, avec la veuve du Nobel, les épreuves d’un texte mêlant prose, poésie et images, surveille les encres, le grain du papier, la qualité de l’impression et la couleur des textes comme des illustrations. Il est « dans la position du parfumeur », un nez dans les épreuves du livre à venir, lentement construit :

Arte, La sensualité des livres (capture d'écran du documentaire)
Arte, La sensualité des livres (capture d’écran du documentaire)

Pour Steidl, aucun papier n’est beau dans l’absolu, il lui faut trouver celui qui conviendra au livre singulier qu’il s’apprête à imprimer. C’est cette singularité sur laquelle repose également le travail du graphiste Jon Gray que la caméra suit à Londres. Jon Gray rappelle la spécificité des couvertures anglo-saxonnes, Arte, La sensualité des livres (capture d'écran du documentaire)libres, proches de l’affiche de cinéma, destinées à ce que le livre saute aux yeux dans les librairies, en opposition presque symétrique au sérieux des couvertures françaises, rigoristes (des caractères droits sur une couverture blanche, éventuellement une photo, peu d’excentricités). Lui, qui s’est fait connaître avec la couverture de Tout est illuminé de Jonathan Safran Foer (et collabore depuis avec l’écrivain passionné par le graphisme), conçoit chacune des couvertures qu’il crée comme une œuvre nouvelle destinée à mettre en valeur la personnalité de chaque texte.

Arte, La sensualité des livres (capture d'écran du documentaire)
Arte, La sensualité des livres (capture d’écran du documentaire)

On le voit travailler à la couverture d’Infinit Jest de David Forster Wallace, éditée en Angleterre pour les 20 ans de la publication de l’ouvrage monstre, alors que le graphiste assemble au sol une infinité de post-it :

Arte, La sensualité des livres (capture d'écran du documentaire)
Arte, La sensualité des livres (capture d’écran du documentaire)
Arte, La sensualité des livres (capture d'écran du documentaire)
Arte, La sensualité des livres (capture d’écran du documentaire)
Arte, La sensualité des livres (capture d'écran du documentaire)
Arte, La sensualité des livres (capture d’écran du documentaire)

Le documentaire poursuit son feuilleté de passionnés de l’objet livre et collections, Penguin, les éditions Allia et Gérard Berréby qui réaffirme sa volonté de « faire un travail industriel de manière artisanale« , Rainer Groothuis, Bernard Granger (dit Blexbolex) qui nous fait découvrir Leipzig où capture-decran-2016-10-15-a-10-32-56il vit, ex-capitale est-allemande du livre, aujourd’hui spécialisée dans les imprimeries d’art (qui ont repris les presses abandonnées après la chute du mur de Berlin).
On rencontre également Irma Boom à Amsterdam, qui construit ses livres comme un architecte, soit en trois dimensions, collant page à page des feuilles volantes pour édifier de sublimes objets. Le livre, pour elle, est un continuum, une suite ordonnée, certes conçu comme une œuvre d’art mais qui doit ensuite circuler, se vendre, ne pas rester sur une étagère. On ne lit pas seulement des livres, on les possède, ils nous possèdent, et l’une des vertus de ce documentaire est de nous inviter à les regarder aussi comme des objets graphiques, qui changent notre regard non seulement par leur contenu mais par leur forme et leur beauté matérielle.

Arte, La sensualité des livres (capture d'écran du documentaire)
Arte, La sensualité des livres (capture d’écran du documentaire)

La sensualité des livres — Documentaire de Katja Duregger (Allemagne, 2016, 51mn) – Production : Tag/Traum Filmproduktion Köln
Arte, dimanche 23 octobre 2016, 17h25 — Voir la bande-annonce

Le documentaire peut être vu pendant une semaine en suivant ce lien