A chaque année suffit sa polémique. Le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême 2016 n’a pas encore débuté que l’on se demande déjà quelle sera la nouvelle bronca, la prochaine querelle… On a déjà été servi : après avoir livré une liste de nominés sentant bon la testostérone, les organisateurs ont décidé d’annuler la remise du prix Charlie de liberté d’expression… Il n’en fallait pas plus à Yan Lindingre pour mettre les pieds dans le plat. Et les couilles sur la table. Entretien.
Le contexte géopolitique n’explique pas tout. En annulant la remise du Prix Charlie récompensant la liberté d’expression créé aux lendemains des attentats contre la rédaction du journal satirique, les organisateurs du FIBD venaient simplement de se prendre une deuxième fois les pieds dans le tapis… quelques jours à peine après avoir dévoilé une liste de nominés éligibles au grand prix composée exclusivement d’hommes (30 noms, O femme)…
La réaction ne s’était pas fait attendre : Riad Sattouf, Joann Sfar, Étienne Davodeau, Daniel Clowes et Charles Burns ont demandé à ce que leurs noms soient retirés de cette liste très mâle et levée de boucliers du collectif des créatrices de bandes dessinées. Réagissant en urgence, le FIBD avait alors intégré des noms de dessinatrices, ajoutant Linda Barry (Mes cent démons !…), Julie Doucet (L’Affaire Madame Paul...), Moto Hagio (Le Cœur de Thomas…), Chantal Montellier (Le Procès…), Marjane Satrapi (Persepolis, Poulet aux Prunes…) et Posy Simmonds (Tamara Drewe, Scènes de la vie littéraire…). Puis la direction du festival a finalement décidé, le jeudi 7 janvier, de ne publier aucune liste. Les votants sont, de fait, invités à voter pour qui bon leur semble…
En réaction, Yan Lindingre, scénariste, dessinateur (Titine, Chez Francisque…) et rédacteur en chef du magazine Fluide Glacial, a donc créé le prix « Couilles au cul » (dans le cadre du off du Off du festival) pour honorer le « courage artistique, aider un artiste méritant, et célébrer une personnalité couillue ». L’annonce de cette création a bien évidemment fait réagir la planète BD. D’autant que Yan Lindingre entend récompenser une femme…
Ce prix « Couilles au cul » c’est un tacle appuyé aux organisateurs du FIBD d’Angoulême ?
Yan Lindingre : S’ils avaient maintenu leur prix de bon aloi, je n’aurais pas créé un prix concurrent. Mais il est vrai que je les trouve vraiment navrants. Le rôle d’un festival, c’est de surprendre, d’inventer, de défrayer la chronique. Bondoux est un chasseur de sponsors inculte. Son festival devient à son image, un vague produit qui court après la mode. Mais il y a le Off, heureusement.
Comment définir le prix couilles au cul ? Que (ou qui) récompense-t-il ?
C’est le prix du courage pour un auteur de dessin de presse, de BD… qui prend des risques en dessinant. Lui remettre un prix, c’est lui donner de la visibilité et pourquoi pas un peu de travail. Je suis dessinateur, je mesure ce qu’une pige « française » peut représenter pour un dessinateur maghrébin, par exemple.
Comprenez-vous les réactions féminines qu’on a pu lire ça et là sur les réseaux sociaux ?
Elles étaient attendues. A l’époque des 343 salopes, il y avait des « super-féministes » qui déjà les trouvaient à côté de la plaque. Les mêmes qui considèrent les Femen comme des connes. Pour elles, un mec ne peut pas tirer son chapeau à une femme. Il y a forcément du calcul de la part du « salaud de mec ». J’avoue que je ne calcule rien. Je ne suis ni féministe, ni androphobe (in cauda venenum), ni rien du tout. Je suis humoriste.
Tanxxx pour ne pas la nommer pense que je suis une ordure misogyne. Quand Siné lui a ouvert les portes de son journal, elle l’a traité de faux anar, de sale con de mec… Je la laisse dans sa névrose morbide. Même si j’aime bien ses dessins. Moi, je suis militant de rien. Et surtout pas de ma petite bite.
Je ne fais pas le tri entre mes potes ou mes ennemis hétérosexuels, pédés, lesbiennes ou bi. J’ai eu des amis qui sont devenus amies et inversement. Ces histoires de couilles, ils/elles s’en battent les couilles paradoxalement. Peut-être plus rompu(e)s au second degré. Bref, qu’elles aillent se faire enculer.
Ce manque de courage des organisateurs du FIBD n’est-il pas un signe des temps ? Il y a un an, tout le monde était Charlie…
Charlie, c’est quoi ? Coco ? Si c’est Willem, alors, je mourrai pour Charlie.
Que penser aujourd’hui ? Considérez-vous que le FIBD a cédé à une quelconque peur ?
Il y a un an, quand j’ai proposé de fêter les 40 ans de Fluide Glacial à Angoulême, Nicolas Finet nous a répondu qu’on était un journal fini, has-been. Or 95% des grands prix ont travaillé au moins une fois pour Fluide. Et moi je résiste et je démontrerai qu’on est journal moderne… Avec des hommes, des femmes, des pédés, des gouines, des juifs et des arabes.
Pour prendre notre pognon, le FIBD ne fait pas d’histoire. Une fois qu’ils sont passés à la caisse, ils nous crachent à la gueule.
Bondoux, Finet… Ce sont des mouches à merde. Qu’ils aillent faire leur Comicon sur un parking de grande surface. Et qu’ils nous laissent nous marrer dans le Off. Pour moi Angoulême, c’est le moment où on fait la fête et où on rencontre les lecteurs, ça c’est chouette. Mais on fait ça aussi bien à Saint-Malo, Aix, Blois, Lyon… Où les organisateurs sont tellement plus sympas et inventifs que ces ectoplasmes incompétents et prétentieux du FIBD.
Enfin, comment voyez-vous la création BD d’humour aujourd’hui ?
Un gros bordel où on se marre. Je n’ai pas d’autre définition.