Ettore Scola : « Nous voulions changer le monde… » (1)

© Une journée particulière d’Ettore Scola

Il reste qui ? Ermanno Olmi ? Bertolucci ? Bellocchio bien sûr… Peut-être… Cela ne change rien, tout le monde l’aura compris : avec la mort d’Ettore Scola, c’est bien l’âge d’or du cinéma italien qui s’est définitivement éteint ce mardi. Alors attention, le cinéma italien n’est pas mort, il faut être Français et critique de cinéma pour penser le contraire. Moretti, Tullio Giordanna, Bellocchio, Amelio, Sorrentino : le cinéma italien est bien vivant.
Mais l’âge d’or vient de se terminer. Au début fut le néo-réalisme, ensuite vint Fellini, mais c’est en grande partie à la cette « comédie à l’italienne » que l’Italie dut la plupart de ses grands succès. Cette comédie italienne qui commençait souvent comme une farce et se terminait en drame. Plus le monde était atroce, plus le rire était bruyant. Il y eut Monicelli, Risi puis il y eut Ettore Scola. C’est Ettore Scola qui siffla la fin du miracle Italien, avec lui, la limite entre la comédie et le drame se fera de plus en plus mince. Au fur et à mesure que s’achèvent les trente glorieuses italiennes avec la disparition des dernières utopies, le cinéma de Scola deviendra sombre, mélancolique, jusqu’à son dernier film Qu’il est étrange de s’appeler Federico évoquant le fantôme de Fellini et d’un cinéma disparu.

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Ettore Scola a débuté comme scénariste, au côté des Macari, de ses futurs complices Age et Scarpelli, le jeune Ettore Scola participe aux grands succès de la comédie italienne comme scénariste de deux des grands succès de Dino Risi : L’homme aux 100 visages et Le Fanfaron. Ses premiers films, sont très inspirés de son travail avec Dino Risi : Parlons femmes (1964) dans la tradition du film à nos_heros_reussiront_ils_a_retrouver_l_ami_mysterieusement_disparu_en_afrique0sketch très populaire à l’époque où il retrouve Vittorio Gassman, l’acteur fétiche de Risi et Nos héros réussiront-ils à retrouver leur ami mystérieusement disparu en Afrique ?, critique du tiers-mondisme comme du colonialisme avec le duo Age/Scarpelli au scénario.

Mais c’est avec Drame de la jalousie (1970) qu’Ettore Scola trouve enfin le style qui va en faire un des cinéastes les plus populaires à travers le monde. Si jusqu’ici son cinéma était formellement assez sage, reposant sur ses comédiens et son scénario, Drame de la jalousie fait preuve d’une véritable audace formelle (rupture de la narration, acteur qui interpelle le spectateur…) alors que le ton mélange la plus grande fantaisie et le drame passionnel où les moins pauvres écrasent les plus pauvres et où les amours finissent mal. Ce film marque aussi la rencontre avec Marcello Mastroianni, magnifique en semi-clochard désespéré et fou d’amour… Scola a trouvé son style : quelques audaces formelles mais surtout un jeu de massacre qui n’épargne personne, pas plus les pauvres que les bourgeois. Des grands auteurs de la comédie italienne (Risi, Monicelli, Germi), Scola sera le plus cruel (peut-être avec Comencini).

Drame de la jalousie (1970)
© Drame de la jalousie (1970)

Curieusement, alors qu’il symbolise aujourd’hui la grandeur du cinéma Italien, Ettore Scola sera surtout celui qui aura accompagné la chute du rêve. « Nous voulions changer le monde et c’est le monde qui nous a changé », dit l’idéaliste Nicola Palumbo, l’un des héros de Nous nous sommes tant aimés (1974), le film qui fit de Scola un maître en même temps qu’il proclamait la chute des illusions. Sommet de la comédie italienne (de la comédie tout court), le film est à la fois incroyablement drôle mais aussi caustique, désabusé : la génération arrivée au pouvoir après la guerre promettait les lendemains qui chantent, entre lâcheté, compromissions, embourgeoisement, elle a accouché d’un monde morne. Ettore Scola admet le triomphe de la bourgeoisie démocrate chrétienne sur les utopies communistes, les amis d’hier se sont perdus de vue, la gauche a échoué : aussi drôle que mélancolique, Nous nous sommes tant aimés est le film d’une génération un peu perdue.

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A la mélancolie succèdera la cruauté. Prix de la mise en scène à Cannes en 1976, Affreux, sales et méchants va plus loin qu’aucun autre film de l’époque. Les anti-héros sont des pauvres vivants dans un bidonville de Rome. Pasolini les magnifiait, Scola porte un regard particulièrement corrosif sur cette famille de délinquants, de voyous, obnubilés par l’appât du gain, se liguant pour assassiner l’aïeul, peut-être encore plus pourri qu’eux tous réunis. Le jeu de massacre à son paroxysme : ni amour, ni bonté, ni innocence. L’ignoble patriarche de la tribu est interprété par le gentil naïf préféré de l’Italie : Nino Manfredi.

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Ettore Scola fait scandale, dans un monde où il est de bon ton de montrer de méchants riches et de gentils pauvres, il ne filme plus que ces derniers et en dresse un portrait à la Bosch. En fait, en bon élève de Gramsci, Ettore Scola n’a jamais fait de film plus engagé : la maladie de ce quart monde, c’est de vouloir devenir bourgeois et d’en adopter les pratiques sans les apparences délicates. Le film se clôt sur un magnifique panoramique qui de la banlieue passe à la ville de Rome, les quartiers bourgeois, la source du problème, hors-champ mais véritable coupable que désigne enfin Scola.

Le cinéaste italien est au sommet de son art. Alors que Risi ou Monicelli déclinent, il représente la comédie italienne dans toute sa splendeur, dans toute son ambiguïté. Entre le drame social, dans la lignée du néo-réalisme, et la farce, héritage de la commedia dell’arte. C’est alors qu’Ettore Scola allait définitivement faire basculer le genre avec un film qui est peut-être son plus beau : Une journée particulière, mais ça, c’est déjà une autre histoire.

A suivre