Peut-être vous souvenez-vous de David Foenkinos, en 2012, vantant les mérites d’un café en capsule, « pour ne plus jamais rompre avec le plaisir ». De Véronique Ovaldé, en 2012, écrivant une nouvelle pour Twingo. On reste dans le rayon automobile avec Joël Dicker qui roule pour Citroën…
Dans la publicité Nespresso de 2012, nous avions déjà tous les éléments de la mythologie de l’écrivain, immense bibliothèque, livre ouvert (mais pas la tête de l’auteur) :
La collaboration Nespresso / Foenkinos, c’était un spot de pub et un « livre cachette » coédité avec La Martinière (19 €), L’Art de la rupture, avec son « astucieux » double fond et ses trois étuis de grand cru de café…


En 2012, toujours Renault demandait à Véronique Ovaldé d’écrire une nouvelle, axée sur l’optimisme, donnant à la Twingo «une place dans le récit». Intitulée Réjouissez-vous et éditée par Albin Michel, cette nouvelle fut distribuée en supplément de l’hebdomadaire Elle daté du vendredi 13 janvier, puis commercialisée en librairies dès mars pour 3 €… (Sur ce sujet, lire Roule, Véro, Roule de Claro sur son Clavier Cannibale).
Cette fois, c’est Citroën et Joël Dicker — the DS Writer — pompeusement érigé en ambassadeur de la nouvelle DS4 et DS4 Crossback, pour une web-série publicitaire (5 épisodes). L’auteur de best-seller est ravi — le voilà doublement tête de gondole —, racontant à qui veut bien l’interviewer qu’il a suivi pendant quelques mois le cours Florent et toujours rêvé de cinéma et de théâtre !
Tout y est : la page blanche, l’inspiration « inépuisable » puisée pourtant « dehors », « le long des routes » (ça tombe bien, non ?)… D’ailleurs, l’inspiration, il l’a trouvée puisqu’à la série de spots, s’ajoute une nouvelle de 50 pages, Pour les initiés seulement, offerte aux heureux acheteurs de la voiture (!) et dont des bouts pourront être lus en ligne au fur et à mesure de la diffusion des spots. La Suisse s’était pourtant à peine remise de Joël Dicker en pilote d’avion pour une compagnie aérienne… A quand un spot pour le chocolat ou les coucous ?
Et on se prend à rêver de ce que Barthes — qui aurait cent ans aujourd’hui — aurait pu écrire là-dessus… Dans Mythologies (1957), le sémiologue parlait de la DS, « objet superlatif », matière et dépassement de la matière. « La Déesse est d’abord un nouveau Nautilus ». Version Dicker, on côtoie plutôt le Titanic : images léchées, parodie (involontaire, cela se veut calque) de bande-annonce de super production (avec commentaire en anglais sous-titré, s’il vous plaît), la voiture comme remède à la page blanche — et mécène des temps modernes. Citroën soutient la création la plus plate, c’est dommage pour une voiture dont la légende s’est construite sur sa suspension hydraulique. « L’objet est ici totalement prostitué », écrivait Barthes. Quelle prescience !
La campagne de pub réversible Citroën / Dicker (l’un faisant la promotion de l’autre) serait aussi une variation sur une autre des Mythologies, « L’écrivain en vacances » : « L’image bonhomme de « l’écrivain en vacances » n’est rien d’autre que l’une de ces mystifications retorses que la bonne société opère pour mieux asservir ses écrivains : rien n’expose mieux la singularité d’une « vocation » que d’être contredite — mais non niée, bien loin de là — par le prosaïsme de son incarnation : c’est une vieille ficelle de toutes les hagiographies. Aussi voit-on ce mythe des « vacances littéraires » s’étendre fort loin, bien au-delà de l’été : les techniques du journalisme contemporain s’emploient de plus en plus à donner de l’écrivain un spectacle prosaïque. Mais on aurait bien tort de prendre cela pour un effort de démystification. C’est tout le contraire. Sans doute, il peut me paraître touchant et même flatteur, à moi simple lecteur, de participer par la confidence à la vie quotidienne d’une race sélectionnée par le génie : je sentirais sans doute délicieusement fraternelle une humanité où je sais par les journaux que tel grand écrivain porte des pyjamas bleus et que tel jeune romancier a du goût pour « les jolies filles, le reblochon et le miel de lavande ». N’empêche que le solde de l’opération c’est que l’écrivain devienne encore un peu plus vedette, quitte un peu davantage cette terre pour un habitat céleste où ses pyjamas et ses fromages ne l’empêchent nullement de reprendre l’usage de sa noble parole démiurgique. »
L’écrivain en panne d’inspiration choisit un véhicule, spectacle prosaïque, vainement transcendé par la publicité. « Vedette », mais mérite-t-il notre confiance ? Finalement, comme une pirouette citationnelle (Barthes en creux), Dicker pourrait faire de la pub pour le fromage suisse — mais cela supposerait qu’on le considère comme un écrivain… Puisque là est le problème : l’écrivain demeure écrivain malgré le spectacle prosaïque. Mais il doit l’être avant sa mise en scène…
Décidément, l’écrivain fait vendre. Après les sacs en forme de livres, les stickers citations, les mugs Rimbaud, les tee-shirts Bukowski, la Blanche de Gallimard devenue cahiers et papiers et autres objets insignes (un colloque passionnant sur le sujet se tient la semaine prochaine, rappelons-le), l’auteur se fait homme-sandwich. Il n’empêche, tout le monde n’a pas la classe de Joan Didion, écrivain et égérie de Céline, qui, elle, a une œuvre qui tient la route :
