Le Papyrus de César, Ferri et Conrad (re)passent le test de la page 48

(c) CRÉDIT PHOTO : (ASTÉRIX-OBÉLIX-IDÉFIX LES ÉDITIONS ALBERT RENÉ/GOSCINNY-UDERZO)

Nous sommes en 2015 après Jésus-Christ, toute la France est conquise par le nouvel Astérix… Toute ? Non ! Des irréductibles résistent encore et toujours. Et la vie du lecteur n’est pas facile au milieu des avis et camps tranchés des Adlibitum, Paroldum et Ilestbiencenouveautum. Chronique « pour et contre » du Papyrus de César, 36ème aventure d’Astérix par Jean-Yves Ferri et Didier Conrad.

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Pour

Quel bonheur ! Quel délice ! Quelle félicité de retrouver Ferri et Conrad au meilleur de leur forme avec cet Astérix qui semble avoir infusé longuement mais sûrement, telle une décoction druidique justement dosée, avec ce qu’il faut d’esprit de Goscinny et d’essence d’Uderzo. Tout commence à Rome – cela dit, c’est normal, puisque tous les chemins y mènent – et César est sur le point de faire publier ses Commentaires sur la guerre des Gaules. Un futur succès de « bibliopolium », si l’on en croit Promoplus, attaché de presse servile et zélé de l’Imperator si et seulement si ce dernier consent à retirer de ses mémoires (comme une soustraction à la postérité) les passages qui ne le présentent pas sous son meilleur jour : les revers subis face aux irréductibles Gaulois d’Armorique.

Eh oui. Je sais par Jupiter. Mais hélas, c’est la triste vérité historique.

La vérité (historique ou non), la liberté d’expression, la censure, le caviardage et l’indépendance de l’information sont donc les thématiques principales du Papyrus de César. Et le propos fait mouche. L’avatar imberbe de Julian Assange (Doublepolémix) est parfait en « colporteur de nouvelles », traquant le « canalis » (« un tuyau, un scoop ») au cri de « l’empire va trembler ». Pour ma part, j’aurais bien aimé un lanceur d’alerte à moustaches prénommé Pleneledwix, allez savoir pourquoi.

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Comme j’ai pu le lire ici ou là (toute honte bue de reprendre les mêmes périphrases) Jean-Yves Ferri a assurément trouvé la recette de la potion magique pour ce second tome après Astérix chez les Pictes. Un scénario complet, avec de multiples entrées et moult clins d’œil, personne (et surtout pas l’humour) ne manque à l’appel.

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Car cet opus (non, ce n’est pas le nom d’un personnage) est drôle par Toutatis ! Les dialogues ont été écrits avec une précision d’orfèvre (il faut vraiment que j’arrête les métaphores), la narration fait la part belle au second degré jusqu’à la mise en abyme ultime. Et Panoramix dopé à la potion vieillie en amphore de chêne est irrésistible avec ses moustaches hirsutes et sa vista retrouvée.

Les trouvailles comiques fourmillent dans ce Papyrus, des jeux de mots savoureux (« colchiques dans les braies ») aux piques bien sentis (« Nous autres Gaulois sommes avant tout de tradition orale – ça c’est vrai qu’à part discuter »), le monde du livre, de la presse, et les nouvelles technologies sont allègrement tournées en dérision. Les anachronismes fonctionnent à merveille et Ferri a su trouver le point de départ historique qui permet toutes les audaces pour toucher un large lectorat, enfants et parents réunis.

Contre

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A trop vouloir embrasser l’univers de Goscinny et Uderzo, Le Papyrus de César ressemble moins à une aventure d’Astérix qu’à une histoire du village gaulois contre la vindicte impériale. En surexposant Obélix, Bonemine, Ordralfabétix, Abraracourcix, Cétautomatix (chez les récurrents) voire les personnages épisodiques (César, Doublepolémix, les romains voyageurs), Ferri et Conrad ont bien involontairement éclipsé le personnage d’Astérix, qui semble désormais jouer les comparses plutôt que tenir le haut de l’affiche. Sans parler réellement d’une absence, la discrétion du personnage principal n’en est pas moins perceptible, créant un déséquilibre entre les nombreux ressorts comiques, le mutisme d’Astérix et le fil de l’histoire (pourtant bien maîtrisé).

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Au dessin, Didier Conrad confirme son immense talent pour recréer l’univers et les personnages, le respect de l’identité visuelle et graphique est colossal. Avec un petit bémol néanmoins concernant à nouveau Astérix : ce dernier semble comme figé, arborant une même expression impavide (des yeux trop grands souvent interrogatifs) dans de nombreuses situations… à trop respecter le modèle, Conrad semble avoir encore une certaine déférence qui le freine dans la réappropriation pleine et entière du personnage. Alors même que, de la couverture à la dernière page, le dessin (l’architecture, les décors, les costumes – soulignons le magnifique travail de Thierry Mébarki à la couleur) est irréprochable.

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Hors ces remarques mineures, ces impressions de lecture, Le Papyrus de César est un régal et ouvre une nouvelle ère. D’ailleurs, il faut commencer à rendre à Ferri et Conrad ce qui leur appartient : leur travail ne doit plus être seulement mesuré à l’aune de celui de leurs pairs. Il faudrait cesser les sempiternelles comparaisons et juger comme il se doit ce Papyrus, hommage tout en subtilité aux historiques auteurs d’Astérix et réel passage de témoin.

Jean-Yves Ferri et Didier Conrad : Astérix, Le Papyrus de César, d’après l’œuvre de Goscinny et Uderzo, T.36, 48 pages couleur, éditions Albert René. 9 € 95.