Sorrentino, Youth : ce cinéma a besoin d’oxygène

Roly Serrano dans le rôle de Maradona. Sorrentino, Youth, 2015 © Fox Searchlight Pictures

Youth est un cinéma qui a besoin d’oxygène. Comme le vrai-faux Maradona (Roly Serrano) qui apparaît dans ce dernier film de Sorrentino. L’ancienne star du football désormais obèse, ne peut en effet se déplacer qu’avec un appareil à souffle portable pour suppléer à ses problèmes respiratoires. Maradona n’est pas la seule figure qui sature le film, il y en aura d’autres, d’autres apparitions qui ajoutent du kitsch narratif à cette pellicule asphyxique : la Reine Elisabeth, Miss Univers, Hitler, la pop star Pamela Faith (la vraie), un moine bouddhiste qui lévite. Pour parler la langue de Youth : Youth is too much et c’est de cela qu’il se tue. D’autant plus que le réalisateur ne cesse d’asséner des vérités philosophiques hautes en poncifs, et de nous les donner en pâture à coups de sketch qui s’insèrent dans des séquences temporelles plus dilatées, suspendues, cherchant à atteindre un air fellinien.

Sorrentino, on le sait, aime Maradona et Fellini puisqu’il les a nommés et remerciés pendant la cérémonie des Oscars lorsqu’il recevait son prix en 2014 pour le meilleur film étranger : La Grande bellezza. Prendrait-il du plaisir à rapprocher des irréductibles ? Oui. Le réalisateur veut surprendre. C’est son dessein. Un peu de Maradona fort replet peut tout à fait évoquer les formes généreuses de la Saraghina dans Huit et demi, de même que la performance-dance du joueur d’antan avec une balle de tennis, clignerait de l’œil en direction de la rumba dansée si déhanchée par la Ur-femme fellinienne.

Le personnage de la Saraghina. Fellini, Huit et demi, 1963
Le personnage de la Saraghina. Fellini, Huit et demi, 1963

Sorrentino ne cesse de vouloir stupéfier et de le souligner quand il sous-titre aussi son film Il Divo : « la spettacolare vita di Giulio Andreotti », prix du jury à Cannes en 2008. Il avoue par ailleurs ce penchant au spectaculaire au quotidien italien La Stampa : « épater », dit-il, « tout en sachant aussi qu’entre le ridicule et le sublime il n’y a qu’un pas ». Or son film n’est ni ridicule ni sublime. Il est juste superficiel et s’étouffe à force de vouloir épater, à force de vouloir dire, à force de vouloir montrer. Le spectaculaire comme séduction. Pour ne se référer qu’aux trois films cités, il y a donc eu une vedette politique qui s’ébat à coups de rythmes disco et de quelques boutades, une très grande beauté qui revêt Rome d’une lumière patinée et grandiloquente, puis la jeunesse tout court, comme à vouloir tout dire sur un sujet aussi vaste, et surtout, accrocheur, pour une humanité qui ne voudrait vivre que de rajeunissement.

Ce qui importe est de faire défiler le spectacle de la citation

Ce qui gêne dans la recherche du spectaculaire et du stupéfiant est le raccourci, la facilité à affronter des arguments de taille, l’approximation dans l’approche de la substance, de l’essence du sens. Sorrentino est conscient de cela qui introduit cette courte réplique dans Youth par la voix du réalisateur de film Boyle-Keitel : « la légèreté est une tentation irrésistible mais aussi une perversion ». Comme il arrive souvent, les créateurs aiment se regarder dans le miroir de leur propre création. C’est donc par le biais de l’autoréférentialité que Youth devient le manifeste esthétique du réalisateur qui nous dit que l’on peut toucher à tout : l’Art, la Vie, la Mort, la Jeunesse, la Vieillesse, l’Amitié, l’Amour, la Sexualité, la Prostate, tout avec de grandes majuscules, of course, comme si tout était juste un prétexte occasionnel pour faire du Cinéma avec un C majuscule, naturally. Collectionner ainsi une grande quantité de maximes et les faire coller à une autre bonne quantité de belles images, voilà qui légitime le régime Sorrentino. Peu importe si Novalis, l’un des plus grands représentants du premier romantisme allemand, apparaît lui aussi au détour d’une réplique, écrasé par la banalité du propos. Peu importe si l’œuvre de ce poète est d’une élévation spirituelle, d’une profondeur théorique, philosophique et littéraire qui se placent aux antipodes de l’esthétique de Sorrentino. Ce qui importe est de faire défiler le spectacle de la citation. Novalis, c’est chic, et ceci ira, de plus, renforcer la perversion de la légèreté.

Youth
Youth La Giovinezza

Car dans l’hôtel de luxe niché dans les Alpes suisses, le couple de vieux amis riches et célèbres, Fred Ballinger (Michael Caine), directeur d’orchestre qui tourne désormais le dos à sa passion, et Mick Boyle (Harvey Keitel), réalisateur qui est sur le point de terminer probablement son film-testament, depuis leur âge fort avancé, regardent la vieillesse en contemplant mollement leur nombril, et un peu comme des marionnettes, se donnent la réplique en se faisant masser, dînant tels des commères, espionnant un ménage peu bavard qui s’échappe pour une petite baisade dans la forêt. Une réplique pourtant blafarde, un peu usée, étirée comme celle qui revient sur la quantité d’urine émise par jour ou celle qui concerne la rencontre du grand amour de jeunesse, Gilda Black. Dans ce même système s’insère le sketch où apparaît Brenda Morel (Jane Fonda) qui refuse de jouer dans le film de Boyle-Keitel parce que la télé paie plus cher. Last but not least, la grande leçon donnée par Miss Univers (Madalina Diana Ghenea) à Jimmy Tree (Paul Dano) : même les plus belles peuvent être intelligentes. En effet, Miss Univers n’est pas blonde.

Toutes ces portions de monde et de parole du radotage qui génèrent le spectacle à la manière d’un Disney for old people, finissent dans leur succession monotone sur une voie de garage. Dommage, car Sorrentino pourrait pousser plus loin son esthétique de la légèreté en résistant tout simplement à la facilité. Commencer par exemple par donner une âme véritable à ce papier rouge transparent que Fred Ballinger froisse sans cesse dans ses mains, un papier que le spectateur reconnaît. Cette caramella Rossana qui le transporte fébrilement, proustienement, à sa jeunesse tout italienne.

Youth La Giovinezza, Italie/Royaume-Uni/Suisse (2015). 1h58.
Réalisation et scénario : Paolo Sorrentino.
Avec : Michael Caine, Harvey Keitel, Rachel Weisz, Paul Dano, Jane Fonda, Robert Seethaler, Alex MacQueen, Roly Serrano, Luna Zimic Mijovic, Tom Lipinski, Chloé Pirrie, Alex Beckett, Nate Dern, Mark Gessner, Mark Kazelek, Paloma Faith, Ed Stoppard, Madalina Diana Ghenea.

Sorti en salle le 09 septembre 2015.