Duncan, Malcolm, Banquo, Fleance, Duff, Hécate… Macbeth. La distribution entière de la pièce de William Shakespeare est présente au nom près dans le polar dystopique de Jo Nesbø qui fait du Général régicide de la pièce un inspecteur principal drogué et sous influence de sa célèbre Lady. Soit un travail de réécriture assumé, et un véritable tour de force qui perpétue l’œuvre du dramaturge de Stafford on Avon auprès des nouvelles générations nourries de sequels, prequels, et autres cross-overs télévisuels. 

« Chaque mot a son odeur : il y a une harmonie et une dissonance des parfums, donc aussi des mots » avançait vigoureusement Nietzsche dans Humain, trop humain pour révéler, en une alliance sans égale, combien le savoir ne pouvait procéder que de la saveur : du goût du monde laissé dans la parole ou ce qui en tient lieu.

« Chaque mot a son odeur : il y a une harmonie et une dissonance des parfums, donc aussi des mots » avançait vigoureusement Nietzsche dans Humain, trop humain pour révéler, en une alliance sans égale, combien le savoir ne pouvait procéder que de la saveur : du goût du monde laissé dans la parole ou ce qui en tient lieu.

Ce qui t’appartient, premier roman de Garth Greenwell est de ces textes qui résistent à la critique tant ils reposent sur une atmosphère davantage que sur une histoire, tant ils séduisent par l’univers singulier qu’ils construisent. Il y a pourtant une histoire, celle d’un professeur américain qui réside à Sofia pour enseigner à l’American College, d’un homme en exil de son pays mais pas de lui-même, entravé dans son désir, ses angoisses, sa peur. « Nous désirons toujours trop ou pas assez, et le reste n’est que compensation ».

« Pas une image juste. Juste une image » dit Godard. Mais mon chagrin voulait une image juste, une image qui fût à la fois justice et justesse : juste une image mais une image juste. (Roland Barthes, La Chambre claire)

Trois livres : L’Exposition, Supplément à la vie de Barbara Loden, La Robe blanche.
Trois femmes : La Castiglione, Barbara Loden, Pippa Bacca.
Trois moments : la fin du XIXe siècle, les années cinquante, la première décennie du XXIe siècle.
Trois domaines où intervient l’image (photographie, cinéma, performance) convoqués chacun au moment de leur pleine affirmation artistique.

Toute écriture naît de la disparition, Derrida l’a montré, plus encore celle du deuil, disparition radicale, irréversible, muant le livre en testament, tombeau d’une présence, paradoxe d’une trace.
« De quoi demain sera-t-il fait ? », se demandait Hugo, « De quoi demain ? », ajoutait Derrida. De quoi ces lendemains ?, poursuit Jean-Michel Espitallier dans La Première année, quand Paris subit une vague d’attentats sans précédent à quelques mètres de chez lui, alors même que sa compagne, Marina, lutte contre le cancer qui va l’emporter.

Les frères Lehman de Stefano Massini, traduit de l’italien par Nathalie Bauer, est un livre exceptionnel. On hésitait, chroniquant pour Diacritik cette épopée inventive et contemporaine à qualifier ce texte de roman, genre qui réduit sa forme. Voilà le livre couronné par le prix Médicis… Essai aujourd’hui (et ce n’est pas la première fois que le jury du Médicis fait un tel pied de nez aux genres). C’est dire si Les Frères Lehman échappe, et c’est tant mieux, à tout horizon générique, horizon au sens étymologique de délimitation des saisons (horizein).

Au crépuscule des terribles années 60, frappé de stupeur et de fulgurance, Michel Foucault l’avait écrit à Pierre Guyotat, alors que sommeillaient déjà en lui les prémices du très bel Idiotie qui paraît cette rentrée : « L’histoire immobile comme la pluie » traverse, comme un intangible point fixe, les pages les plus terribles du romancier. Car, de Tombeau pour cinq cent mille soldats jusqu’à Idiotie, Pierre Guyotat, ce serait tout d’abord l’histoire d’un cri, couronné le lundi 5 novembre d’un Prix Femina spécial 2018 pour l’ensemble de son œuvre et Idiotie. Et du prix Médicis dès le lendemain, 6 novembre 2018.

Hannah Arendt, analysant la Condition de l’homme moderne l’écrivait : les marchandises ont supplanté les paroles, la bourse a détrôné l’agora, le marché est devenu le lien du collectif. La destinée des Frères Lehman, telle que Stefano Massini en retrace l’épopée, en est l’illustration parfaite, du départ de Bavière d’Heyum Lehmann (avec deux n), le 11 septembre 1844 à la faillite aux répercussions planétaires de Lehman Brothers, le 15 septembre 2008 : à travers l’histoire d’une dynastie c’est toute l’Amérique dans sa grandeur et ses décadences que saisit l’auteur italien, en une fresque singulière et sidérante.

« Tôt ou tard, tout devient télévision », écrivait J. G. Ballard, en épigraphe de Par les écrans du monde de Fanny Taillandier, roman par ailleurs placé sous l’exergue de deux récits de création, le texte de Ballard (Jour de création) et le Coran (une sourate des Factions), comme si tout désormais n’était plus créé que pour être vu, selon les règles d’une culture du spectacle, d’une mise en images et d’une spécularité discursive généralisée dont le 11 septembre aura été l’acmé.

Écrire depuis l’énigme Clémence, une vie brève (1879-1901), minuscule et muette, celle d’une ouvrière, cantonnée aux marges de la grande histoire : tel est le creuset du récit de Michèle Audin, Oublier Clémence, déployant une archive, la seule trace d’une vie, cinq lignes factuelles d’un registre d’état civil.

Jeffrey Eugenides publie peu : trois romans à ce jour, un par décennie (Virgin Suicides en 1993, Middlesex en 2002, Le Roman du mariage en 2011) et un recueil de nouvelles, Des raisons de se plaindre, véritable mosaïque de son œuvre, qui vient de paraître aux éditions de L’Olivier dans une traduction d’Olivier Deparis. L’occasion de le rencontrer à Paris, le 21 septembre dernier, pour évoquer ces nouvelles en particulier, la littérature en général et l’Amérique cette « expérience ».

6 rue Le Regrattier. Là où Charles Baudelaire logea la « Vénus noire », Jeanne la mulâtresse. Là où mon Poéticide assassine ou plutôt fait sauvagement assassiner le chantre désabusé du spleen et de l’idéal. À trente-trois ans – un âge à se faire crucifier –, me voici donc au seuil d’un nouveau néologisme délictueux, d’une insupportable prétention, en pèlerinage, le front plissé, les points serrés, me demandant ce qui a bien pu se passer entre mes presque six et mes plus de trente-trois ans.

You were the jailer of your murderer –
Which imprisoned you.
And since I was your nurse and your protector
Your sentence was mine too.

Ted Hughes, « The Blackbird » – Birthday Letters

Imaginez le verso d’un calque : un même motif, mimétique mais inversé. Un regard volontairement retourné, un même et autre. Tel est le principe de Ton histoire Mon histoire de Connie Palmen, dès son titre : reprendre l’histoire de Ted Hughes et Sylvia Plath en adoptant le point de vue de Ted Hughes, raconter cette histoire iconique comme s’il l’avait écrite, en faisant de ce roman un centon tant il est innervé de citations, références, reprises, tant de l’œuvre de Hughes que de celle de Plath d’ailleurs.