Claire est tombée. Elle est allée dans la chambre du fond, là où on range les conserves et les confitures.. . Et soudain, tu as entendu : « Laurent ! Je suis tombée ! »
Pays Natal
Quitter Amiens est une épreuve pour les yeux ; disgrâce des faubourgs qui s’étirent piteusement : des bâtiments en tôles rouillées, des maisons isolées, des murs borgnes, toute une architecture disparate et cacophonique.
Cette pièce sert de salle à manger, de salon, de chambre. Une fenêtre donne sur la rue, une autre sur le jardin. Au milieu, une large table ronde recouverte d’une toile cirée ; au-dessus, une lampe à suspension ancienne, en forme de lyre, coiffée d’un abat-jour opaline ; elle diffuse une lumière cuivrée qui rayonne du centre vers les murs comme un astre, et dessine au plafond un cercle diaphane.
Je ne pourrais pas prendre mes vacances ailleurs qu’au bord de la mer. J’ai besoin des embruns, de l’air iodé, j’adore découvrir du sable dans mes chaussures quand je les enlève le soir… Il y a une sensualité des grèves, une poésie du littoral qui me sont absolument nécessaires…
Je n’aurais jamais dû accepter d’encadrer cette colonie de vacances en Espagne. Tout ça pour gagner des cacahuètes.
Je suis aux anges. Luc et C. viennent d’arriver, papa et maman aussi (elle semble de bonne humeur maman en ce moment). C’était bien cette baignade, l’eau, pour une fois, n’était pas trop froide et j’en ai profité autant que j’ai pu.
Vous aviez acheté des crabes, vous alliez passer à table. Ça a éclaté comme un orage dans la chaleur de l’été : ta mère a accusé Claire de vouloir tout régenter ; Pierre, pour une fois, a osé prendre la défense de sa vieille mère, la mèche était allumée… Noms d’oiseaux, remarques perfides : dans le registre de la vulgarité et de la mauvaise foi, ta chère maman a été parfaite.
Pierre est né à la ferme. La maternité, à cette époque, n’est pas encore ce lieu incontournable.
Une peinture. Un portrait plus exactement. Un portrait de toi que je m’étais mis en tête de réaliser.
Plusieurs fois, je l’avais surprise, elle nous couvait d’un œil protubérant ; Catherine, ses bijoux, sa dégaine de voyante extra-lucide, sa logorrhée et sa puérile obstination à séduire ; moi, mes vêtements chinés aux fripes, mes cheveux très courts, ma réserve un peu inquiétante.
Parvenu à cent – c’était convenu –, tu te retournes. La futaie est vide. Peu de bruits, des oiseaux discrets, des branches et des feuilles qui craquent sous tes pas. Et puis ce vent léger qui agite les cimes. Tu fouilles là où tu aurais eu l’idée de te cacher : derrière un buisson de ronces, sous de hautes fougères. Tu examines minutieusement chaque arbre.
Vous allez au bord de la mer. Le plus souvent, c’est pour ramasser des moules, des coques et des vigneaux. Mais parfois, c’est pour que tu puisses te baigner. Entre la maison et le littoral, quatre kilomètres : uniquement de la descente à l’aller ; puis quatre autres kilomètres au retour, cette fois-ci en montée. Huit kilomètres (mais souvent plus), ajoutés aux soixante-quinze étés de Claire équivalent à une petite équipée.
Facilité pour tes parents : te refourguer à ta grand-mère durant toutes les périodes de vacances ; sauf en hiver car sa maison du bord de mer n’est pas vraiment habitable quand le froid passe à l’offensive.
Tu n’as jamais supporté la mollesse des suspensions de la GS et encore moins l’effroyable odeur imprégnant l’habitacle, où se mêlent plastique et tabac froid.
C‘est tous les jours à peu près le même trajet : cinq ou six kilomètres le long du chemin de halage puis retour ; après la journée au lycée, manière de te revivifier… Jusqu’alors, toute pratique sportive se résumait pour toi à un supplice inutile. Désormais, si un soir tu renonces, tu te sens coupable. Tu négliges souvent le repas du midi. Les heures qui suivent, tu as faim et la tête te tourne un peu. Ce sont des sensations inédites, une promesse de liberté.