« Il faut du temps pour comprendre ce qu’aimer veut dire ». Il aura fallu du temps à Mathieu Lindon pour parvenir à dire celui qu’il a aimé et perdu, Hervé Guibert, qui est certes ici l’écrivain et le compagnon des années romaines mais aussi et surtout Hervelino, ce surnom qui n’était qu’à eux, devenu le titre d’un livre bouleversant sur ce que l’amitié veut dire, ce qu’est un livre de deuil lorsqu’il célèbre la vie, l’intensité absolue d’une fin de vie. « Mais qu’écrire d’un mort aimé ? »

« Il faut du temps pour comprendre ce qu’aimer veut dire ». Il aura fallu du temps à Mathieu Lindon pour parvenir à dire celui qu’il a aimé et perdu, Hervé Guibert, qui est certes ici l’écrivain et le compagnon des années romaines mais aussi et surtout Hervelino, ce surnom qui n’était qu’à eux, devenu le titre d’un livre bouleversant sur ce que l’amitié veut dire, ce qu’est un livre de deuil lorsqu’il célèbre la vie, l’intensité absolue d’une fin de vie. « Mais qu’écrire d’un mort aimé ? »

Dans le dictionnaire subjectif et irraisonné qu’est Bardadrac (Seuil, 2006, p. 275), Gérard Genette écrit à « Mémoire » que cette dernière a des « parties mates et des parties brillantes » ; « par ses angles morts, ses taches aveugles et ses trous noirs, elle est évidemment un filtre : trier, exclure, choisir, garder et jeter, transformer, interpoler, extrapoler, composent l’essentiel de sa fonction ». Se souvenir serait alors lister, penser/classer, non ce dont on se souvient mais ce qui échappe à la mémoire immédiate, ce qui se situe dans les angles morts, les taches aveugles et les trous noirs, se voit décentré. Tout ce qu’on ne peut dater ou dont on peine à retrouver l’origine. Se dire, c’est sans doute explorer les lignes de fuite de la mémoire, ce que nos oublis disent de nous, ce que le futile révèle d’essentiel, l’accessoire de fondamental, les inconduites d’une ligne de vie. Tel est l’art poétique de l’extraordinaire Je ne me souviens pas de Mathieu Lindon qui vient de paraître chez P.O.L.

En dépit de son titre (et de l’absence d’indice sur la couverture blanche des éditions P.O.L), Champion du monde de Mathieu Lindon est bien un roman sur le tennis. Publié en 1994, le roman sera suivi de Merci (1996) — deux textes pour dire un « devenir Ximon », être « champion du monde ». Pour cela, Ximon demande à Kyhl, un joueur en fin de carrière, de devenir son entraîneur et de faire d’une page vierge une histoire, un roman. D’être son coach, son frère, son ami, un père, selon ces filiations électives et héritages symboliques que Mathieu Lindon décrit de roman en roman.

En littérature comme en amour, il est des « hasards objectifs », ces « faits-glissades» dont Mathieu Lindon tisse Ce qu’aimer veut dire. Ce qu’aimer entend nous dire, suggère et impose à un écrivain qui revient dans ces pages sublimes sur des rencontres fondatrices, des présences qui forgent une destinée.