« Les cavaliers, adroits et vigoureux, caracolaient sur leurs fringants chevaux ; ils se tenaient prêts pour être les premiers à emporter la carcasse du chevreau jusqu’au campement qui se trouvait treize verstes plus loin. Rahmat-bek était lui aussi aux aguets, assis fièrement sur son karabaïr, un grand cheval svelte à la robe noire, aux sabots tout blancs, qui avait une étoile sur le front.
Enfin, on jeta au milieu des cavaliers le chevreau blanc décapité, vidé de ses entrailles et bourré de sel. Des dizaines de cavaliers se jetèrent sur lui. Le sol lisse, moelleux et humide, couvert de fleurs minuscules et d’herbe tendre, résonnait comme lorsqu’on bat le coton pour l’assouplir et en bourrer des matelas, sous les sabots des chevaux blancs, noirs, pommelés, roux, isabelle, gris ou tachetés, qui, tout en sautant, se mordaient et se donnaient des coups de patte. Leur agitation soulevait une poussière noire.
Le jeune Rahmat-bek était fort comme un tigre, agile, intelligent et rusé. Comme il se disait que son rapide étalon risquait de se fatiguer, de se casser une jambe ou de se tordre le cou, il ne s’élança pas dans la mêlée. Au contraire, lâchant la bride de sa monture, il la fit caracoler en restant en dehors : « L’essentiel du combat nous attend », se disait-il…
Après une longue lutte à qui s’emparerait du chevreau, un cheval noir fendit le groupe des autres concurrents. Son cavalier, un jeune Turkmène, plaça sa proie sous la cuisse. Par son apparence, il rappelait un épervier. Il avait de grands yeux, un visage ovale et un nez aquilin ; son oreille gauche était déchirée. Ses moustaches et sa barbe, son manteau court et son long bonnet lui donnaient un air hardi et déterminé.
Le jeune Turkmène n’avait pas encore parcouru une distance de cinq cent pas que ses adversaires, qui guettaient le moment propice, formèrent un cercle autour de lui ; mais il ne se laissa pas faire : faisant se cabrer bien haut son cheval, il le fit tourner trois quatre fois sur lui-même. Enfin, il lui donna un coup de cravache sur la croupe. Et le cheval bondit en avant. »
Mamadali Mahmoudov, La Montagne éternelle (1981), traduit de l’ouzbek par Philippe Frison, Éditions de l’Aube, 2008, p. 71.
