Ambassade des Immigré.e.s : occupation du 17 rue Saulnier (Paris)

©Jean-Philippe Cazier

Depuis le 18 avril dernier, un collectif d’immigré.e.s occupe un immeuble d’entreprise abandonné de la rue Saulnier, à Paris, dans le 9e. Constitué de personnes immigrées avec ou sans papiers, ne bénéficiant d’aucun logement et contraintes de « vivre » dans la rue, le collectif a rebaptisé le lieu « l’Ambassade des Immigré.e.s. ».

Depuis de nombreuses années, la politique française à l’égard des Immigré.e.s est plus que problématique (euphémisme). En grande partie basée sur des abus, sur de la violence physique ou institutionnelle, sur une négation des droits humains, elle apparaît pour ce qu’elle est, entre autres, au sujet de la question du logement. La sixième puissance mondiale est-elle incapable de décider d’une politique d’accueil digne et cohérente, y compris et d’abord en ce qui concerne les conditions les plus basiques de l’existence humaine ? Ou bien, cette politique de précarisation constante et généralisée n’est-elle pas révélatrice de ce qu’est la politique française à l’égard des Immigré.e.s sans papiers, non encore régularisé.e.s, ou parfois même régularisé.e.s – à savoir une politique raciste et classiste visant délibérément à nier les droits humains, à précariser les existences, à exercer une violence qui use, physiquement et psychiquement, une politique qui peut aussi tuer ? C’est cette politique et ses effets qui est également dénoncée par le collectif qui occupe « l’Ambassade des Immigré.e.s ». C’est contre cette politique et ses effets mortifères – politique continuée et encore durcie par Emmanuel Macron depuis 5 ans – que « l’Ambassade des Immigré.e.s » revendique des papiers, des visas, la nationalité pour toutes et tous ceux et celles qui en font la demande ; un logement digne pour toutes et tous ; la réquisition des logements vides et la construction de nouveaux lieux d’habitation ; que cesse la violence physique et psychique à l’égard des personnes immigré.e.s.

©Jean-Philippe Cazier

Les personnes qui sont ici n’ont pas d’appartement, n’ont pas de lieu pour vivre, seulement la rue, c’est bien ça ?

Bachir : Oui, elles n’ont rien. Ici, il y a environ 90 personnes qui d’habitude dorment dans la rue, à la Chapelle, dans des gares. Ce sont des gens qui sont forcés de vivre dans la rue. Un des problèmes dans la rue est que les policiers nous chassent tout le temps, ils nous aspergent de gaz ou nous tasent. On n’arrive pas à dormir, il faut toujours être sur ses gardes, surveiller, guetter l’arrivée des policiers. Dans la rue, c’est dangereux. Et la police crée toujours des problèmes.

La situation qui est celle des personnes présentes ici est-elle courante ? Est-ce qu’elle correspond à la situation commune des personnes sans papiers, en attente de régularisation, venant d’être régularisées ? Est-ce que l’Etat français ne propose aucun logement ?

Bachir : Je suis arrivé en 2016, j’ai constitué mon dossier en tant que réfugié. Mais depuis tout ce temps, j’attends toujours que l’Etat me propose un logement. En tant que réfugié, j’ai demandé cette aide, mais l’Etat ne me propose rien. En France, il y a des lois pour l’accueil des réfugiés, alors qu’elles ne sont pas appliquées. Chaque mois, la CAF me donne 150 euros pour manger, et c’est tout. En France, il y a le DALO, le Droit au logement opposable, mais ça ne sert à rien. Ça fait six ans que je fais des dossiers mais rien ne change.

Le but premier de l’occupation de cet immeuble est que les gens puissent avoir un endroit pour dormir, ne plus être dans la rue ?

Bachir : Oui, c’est ça. Pendant des mois, il fait très froid, puis il fait très chaud, et ainsi de suite. C’est difficile. Etre dans la rue, c’est très dur. Ici, dans l’immeuble que nous occupons, il n’y a pas toute la saleté, il n’y a pas de problèmes liés à la drogue. Ici, il y a aussi un groupe de gens qui sont avec nous et s’occupent de nous, par exemple de la cuisine. On peut dormir plus tranquillement, on peut être propres, on peut sortir normalement et faire nos démarches, chercher un travail. C’est difficile de faire ça si tu n’as pas de logement.

Vous avez baptisé ce lieu « l’Ambassade des Immigr.é.es ». Pourquoi ce nom ? Quels sont les objectifs ?

Bachir : J’étais seul puis je suis allé dans des manifestations. Je me suis dit qu’au lieu de rester seul, je pourrais rejoindre un groupe. Le but est aussi de ne pas demeurer seul face à l’administration française. Si on a des problèmes pour faire des démarches, pour poser des questions, c’est mieux d’être plusieurs. Si ça s’appelle « Ambassade des Immigré.e.s », c’est parce qu’il y a beaucoup de nationalités ici. Les problèmes ne sont pas ceux d’un seul groupe, d’une seule nationalité, mais de tout le monde. Les gens de toutes ces nationalités s’entraident. Ces problèmes ne sont pas uniquement ceux des migrant.e.s, ce sont les problèmes de toute la France. On veut s’adresser à toute la France et au gouvernement français.

Le racisme est aussi un problème. En France, quand tu marches dans la rue, tu peux ne pas avoir conscience du racisme, tu ne le vois pas. Mais dès que tu as un rendez-vous dans une administration, tu ne peux que t’en rendre compte. Aux guichets, souvent, on te parle mal, parfois on t’insulte. Quand tu es Français, tu peux ne pas t’en apercevoir, mais dès que tu es un étranger, que tu vas à la préfecture, tu es confronté à ce racisme. Par exemple, si tu arrives à la préfecture, que tu montres le papier indiquant que tu as un rendez-vous, avec la date et l’heure, il arrive que l’homme de la sécurité te réponde : « dégage ! ». Le but d’être en groupe est, si ce genre de situation arrive, qu’il y ait des témoins et une protestation collective qui a des chances d’être plus efficace. Autrement, il n’y a personne pour défendre les droits humains, il n’y a personne, si on nous dit « dégage ! », pour dire que ce n’est pas normal. Et il n’y a non plus personne pour parler du racisme que l’on subit.

J’ai été en Italie, en Allemagne, en Belgique. Mais la France, c’est différent. Dans les autres pays, il y a des organisations solidaires et, même si des problèmes existent, l’administration aide plus, est plus accessible. En France, ce n’est pas le cas, il y a beaucoup d’arbitraire, et un arbitraire raciste.

En France, est-ce qu’il y a des partis politiques ou des organisations politiques qui vous aident ?

Bachir : Normalement, c’est le rôle du gouvernement, du parlement, non ? En fait, personne ne m’a jamais posé la question que tu me poses. Je ne connais pas bien la politique française. En tout cas, personne n’est jamais entré en contact avec moi. Je ne sais pas répondre à ta question.

©Jean-Philippe Cazier

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