Qu’attendez-vous de cette présidentielle ? La présence de Jean-Luc Mélenchon au second tour constituerait une victoire tactique majeure

© Jean-Philippe Cazier

Ce que j’attends de l’élection présidentielle (et des législatives qui suivent) c’est une modification du rapport des forces qui composent le champ politique.

La situation nouvelle causée par ce processus établira l’espace concret, le terrain tactique, dans quoi devra être engagée l’action politique jusqu’en 2027.

Moi écrivain de langue française, de nationalité française, détenteur du pouvoir de parler parce que vous me l’accordez, comment pourrais-je ne pas m’associer par le verbe, déjà, à ceux qui disent, en portant un gilet jaune par exemple, qu’ils sont privés du pouvoir matériel de vivre avec dignité ? Aux hommes, aux femmes et aux enfants qui ont peur de la police ? À ceux qui souffrent et meurent du désastre environnemental ? De la division raciale de l’économie globalisée ?

Ceux pour qui l’expression et la défense de ces intérêts sont vitales ne peuvent pas se placer dans la dépendance de la stratégie des organisations révolutionnaires de la gauche française :  construction infinie de la situation ou projection immédiate dans l’émeute. Le temps requis pour une telle construction ainsi que la sécurité (matérielle, politique) requise pour une telle projection ne sont pas disponibles pour les membres des ensembles sociaux dont le sens et l’intérêt collectifs sont formulés ici. L’efficacité actuelle de l’action politique est dans la projection des forces au sein d’un espace stratégique immanent (auquel appartient le processus électoral bien qu’il n’en constitue qu’une localité tactique), non pas dans le remplacement mystique de cet espace impur par l’atopie d’une révolution sans situation. Pouvoir se projeter dans l’espace idéal de ce qui devrait être (dans l’abolition métaphysique de ce qui est) est un pouvoir que ceux qui  meurent maintenant du rapport des forces dans l’espace immanent n’ont pas. C’est un pouvoir nihiliste petit-bourgeois. 

Illuminer Dassault. Éteindre Derrida

Sauf nouvel évènement catastrophique, le bloc « bourgeois libéral » mené par le couple Macron sera reconduit à la présidence de la République, en raison notamment de l’évènement catastrophique que constitue l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Le bloc « bourgeois libéral » poursuit, à l’occasion de cette campagne électorale, sa réorganisation, par l’absorption de sous-ensembles du bloc « social-démocrate » (EELV-PS) et du parti Les Républicains. Cette réorganisation accomplit la destruction de ces deux ensembles dont le reste des forces ne sont plus dirigées que vers un objectif de survie bureaucratique, par tous les moyens nécessaires.

Le sens de l’action du  bloc « bourgeois libéral » est le résultat de la performance industrielle et financière de « la France » au sein de la compétition capitaliste globale, son intérêt se confond intégralement avec celui des champions « industriels et financiers » français.

Un des éléments rhétoriques qui a rallié l’ensemble « social-démocrate » au nouveau « bloc bourgeois libéral » organisé par le couple Macron est les « signes de culture » émis, durant la campagne présidentielle 2017, par ce dernier :  prétendu héritage de Raymond Aron, citations de René Char, pratique du théâtre et de l’écriture ; signes de reconnaissance, de ralliement, d’appartenance à un ensemble dans une communauté de sens et d’intérêt.

Comment serais-je, écrivain français, dupe du stratagème rhétorique, quand Jean-Michel Blanquer conduit, à la tête d’un bataillon de sophistes, de bonimenteurs et de charlatans, une offensive contre la philosophie, qualifiant Jacques Derrida de « virus » global, et s’avançant en Ministre de l’Éducation de la République Française comme le « vaccin » qui le détruira.

Le bloc « bourgeois-libéral » entend, pour défendre les intérêts des « champions » du capitalisme, au moyen de ses appareils idéologiques,  détruire les « champions » de la philosophie. Illuminer Dassault. Éteindre Derrida. La politique du bloc « bourgeois libéral » est un obscurantisme.

Quel sort fait, par les appareils idéologiques de ce « bloc hégémonique », à la littérature française dont l’une des œuvres immenses, à l’origine du XXIe, est le Progéniture de Pierre Guyotat qui écrit « que, l’7 heur’, au bord l’grabat d’sall’, l’gros pli d’ma sondée d’te 5 heur’ tant te m’grogn’, rot’ » ? Quand le couple Macron engage le gouvernement et un bataillon d’académiciens, de littérateurs, dans un combat régressif contre l’entrée « d’un pronom neutre » (« Iel ») dans un dictionnaire de la langue française?

Comment ne pas voir en outre que le bloc « bourgeois libéral » est coupable de la poussée du « bloc nationaliste », et de l’empoisonnement du champ politique par son idéologie criminelle (Zemmour) ? Le couple Macron répète le geste tactique qui consiste à polariser le champ politique entre un pôle positif  (la « menace de l’extrême droite » ou « bloc nationaliste ») et un pôle positif et (le « barrage » ou bloc « bourgeois-libéral »). Le second intensifiant tactiquement le premier afin de conserver le pouvoir. Au risque assumé de la tragique absorption  du pôle positif par le pôle négatif qui ne dépend maintenant que du geste de quelques « champions » industriels et financiers (Bolloré). Imaginez Editis maître et possesseur de toute l’Édition.

J’attends donc du processus électoral en cours une modification de la situation réciproque des forces et des blocs afin de casser la bipolarité tactique dans quoi est figée le champ politique français depuis quarante ans. Cette modification ne peut être causée que par une poussée spectaculaire du  bloc de la « gauche radicale » telle que portée par le mouvement de l’Union Populaire conduit par Jean-Luc Mélenchon. Seule cette modification peut mettre un terme à la mutation du champ politique en ordre nationaliste et autoritaire.

L’anéantissement du bloc « social-démocrate »

Cette modification ne peut être causée que par une position de rupture radicale avec le bloc-« bourgeois libéral », c’est-à-dire avec le sens qui l’anime et avec ses intérêts.

C’est cette impuissance à rompre qui est la cause de l’anéantissement du bloc « social-démocrate » porté depuis 25 ans par l’alliance « Écologistes-Parti Socialiste ». Le sens et les intérêts défendus par ce bloc, l’ensemble social qu’il représente, ont été capturés par le leadership du couple Macron et intégrés au bloc « bourgeois-libéral ». Vidé, sans force, sans intérêt, sans sens, le Parti Socialiste n’a plus pour objectif que de survivre en tant que structure bureaucratique : sauver les notables, sauver les locaux.

Dans le processus électoral en cours EELV s’est trompé de sens : au lieu de fuir la voie qui a conduit le Parti Socialiste à sa pathétique fin, il s’y est engagé de toutes ses forces, en traître, pensant : « mon parrain étant mourant, joie, je vais le remplacer ». Sauf que cette place est la place du mort. Cette place c’est le parvis de l’Assemblée Nationale où le nouveau leader du bloc social-démocrate, mort-né, a exposé son soutien aux organisations de la Police Nationale appelant à l’avènement sur le champ politique d’un ordre national et autoritaire. Il a été ainsi piégé à la place morte entre les deux pôles où est figé depuis quarante ans le champ politique français.

EELV dont le sens est de défendre l’intérêt de l’environnement, doit, pour vivre, se déplacer, s’il ne veut pas mourir de vouloir prendre la place où le Parti Socialiste est mort. Il doit se placer dans le bloc de la « gauche radicale » : car l’intérêt de l’environnement c’est l’intérêt de l’ensemble social qui souffre matériellement de sa destruction, les classes populaires dans le champs politique français et le Sud Global au plan du monde.

À la place du mort était enfin devant l’Assemblée Nationale le leader du Parti Communiste Français qui, pour revenir d’entre les morts (sauver les notables, sauver les locaux) a choisi de muter en petit appendice factice du « bloc nationaliste », instrumentalisé par le « bloc bourgeois-libéral » afin de contrer la poussée du bloc de la « gauche radicale » et conserver la bipolarité du champ politique qui nous dirige fatalement vers le désastre de l’ordre nationaliste et autoritaire.

Une situation immanente favorable à de nouvelles conquêtes et victoires

La prise d’une position de force, à l’occasion du processus électoral en cours, par le bloc de la « gauche radicale » aura pour conséquences : d’une part, de casser la fixation bipolaire du champ politique et d’autre part, de réaliser les conditions de possibilité de l’expression et  de la défense du sens et des intérêts d’ensembles sociaux refoulés et réprimés depuis quarante ans : Gilets Jaunes ; antiracisme, environnement, justice globale.

Là où les leaders rivaux du bloc « social-démocrate » (ELLV-PS) ont perdu leur force en faisant le choix tactique de livrer bataille au couple Macron à l’intérieur du champ bipolaire dont il est le maître (« nous sommes la gauche de gouvernement »), le leader de la « gauche radicale » a su ouvrir l’espace pour l’organisation  de l’expression et la défense du sens et de l’intérêt des ensembles inouïs en disant « NON ». Non au piège idéologique dans quoi le bloc « bourgeois-libéral » enferme le champ politique depuis quarante ans et qui est en train se refermer sur lui-même.

C’est cette stratégie de rupture idéologique  qui ouvre une possibilité de changement du rapport des forces  à l’occasion du processus électoral en cours. La présence de Jean-Luc Mélenchon au second tour des élections présidentielles, et la projection massive de députés de l’Union Populaire à l’Assemblée Nationale constitueraient une victoire tactique majeure au sein de la guerre de position que se livrent les ensembles sociaux.

J’attends de l’ensemble de ceux et celles, amis, proches, lecteurs, pour qui ces valeurs ont un sens et qui entendent, politiquement, défendre les intérêts ici mentionnés, qu’ils votent au  premier et second tour, ainsi qu’aux élections législatives pour les candidats de l’Union Populaire, dont Jean-Luc Mélenchon.

Le leader d’un mouvement est une pièce de machine. C’est la force machinique qui importe non une pièce, fut elle la plus signifiante parce qu’elle apparaît comme le site de son expression. La politique est un espace matériel d’affrontement de forces, non pas un feuilleton à personnages psychologisant (« je ne l’aime pas, il est trop ceci, il est cela »).  Il y a évidemment un risque, une fois la position prise, après le mouvement relatif des blocs, que le bloc qui m’intéresse se fige en bureaucratie intéressée par la seule conservation des positions de pouvoir personnel prises par des leaders devenus apparatchiks. Peut-être est-ce déjà le cas au sein de l’Union Populaire. Tout l’indique. Pourquoi cette organisation échapperait-elle à la loi des partis, c’est-à-dire aux lois de la distribution du pouvoir conquis ?

Mais l’enjeu maintenant est ailleurs. À l’occasion de la stratégie de rupture choisie par ce mouvement de la « gauche radicale » une modification de la position relative des forces au sein du champ politique est possible. Il est possible de mettre fin à la bipolarité dans quoi est figé stratégiquement ce dernier depuis 40 ans et qui conduit la société  à l’établissement fatal d’un ordre nationaliste et autoritaire.

Après l’établissement souhaité de la nouvelle situation politique, les ensembles sociaux matériellement intéressés par l’universalité de l’accès à des conditions de vie digne, l’abolition du racisme global, la défense de l’environnement, ces hommes et ces femmes donc devront poursuivre leur effort d’organisation autonome pour l’expression et la défense de leurs intérêts, avec, et contre s’il le faut, le bloc de la « gauche radicale » en position de force, au sein d’une situation immanente qui devrait être alors, pour ces ensembles sociaux organisés, favorable à de futures conquêtes et victoires majeures.

Pierre Chopinaud

Dernier titre paru : Cavalier d’épée, éditions P.O.L, 2021, 336 p., 20 €