Lectures transversales 45: Jo Nesbø, Macbeth

« Ensuite, Lady l’avait invité au casino le lendemain soir. Il avait accepté l’invitation, mais décliné l’apéritif. Décliné sur le vin, mais accepté l’eau. Elle avait fait mettre une table sur la mezzanine avec vue sur la place des Travailleurs, où la pluie ruisselait sans bruit des pavés de la gare vers l’Inverness. Les architectes avaient surélevé la gare de quelques mètres, car ils estimaient que, sur le terrain constamment détrempé et marécageux de cette ville, le poids de tout ce marbre et de locomotives comme Bertha allait finir par abaisser le niveau du sol.

Ils avaient parlé de tout et de rien. Évitant les sujets trop personnels. Mais aussi les événements de la veille. Bref, ils avaient passé un bon moment. Si Macbeth n’était pas un homme du monde, il était aussi charmant que drôle. Et exceptionnellement séduisant dans ce costume gris un peu étriqué qui, lui avait-il expliqué, était un don de Banquo, son collègue plus âgé. Elle avait écouté ses récits de l’orphelinat, sur un copain du nom de Duff et sur un cirque itinérant avec lequel il avait passé un été quand il était gamin. Sur le dompteur de lion angoissé et toujours enrhumé, sur le frère et la sœur filiformes qui étaient trapézistes et ne mangeaient que des aliments rectangulaires, sur le magicien qui appelait les spectateurs sur la piste et faisait léviter leurs biens — une alliance, une clef ou une montre — sous leurs yeux. Et lui avait écouté avec intérêt Lady lui parler du casino qu’elle avait construit à partir de rien. Puis, finalement, quand elle avait eu le sentiment d’avoir raconté tout ce qui pouvait se raconter, elle avait levé son verre de vin et posé la question. « Pourquoi pensez-vous qu’il l’a fait ? »

Macbeth avait haussé les épaules. « Le bouillon de Hécate rend les gens fous. »

Jo Nesbø, Macbeth (2018), traduit du norvégien par Céline Romand-Monnier, Gallimard, coll. Série noire, 2018, pp. 127-128 — ici l’article de Dominique Bry sur le livre.