Perez : « Je suis attaché aux gimmicks pop, à une forme de limpidité mélodique » (Vanille)

Perez © Yann Stofer

Aujourd’hui sort la vidéo du nouveau single de Perez, le magnétique et hypnotique « Vanille », son titre le plus musicalement audacieux à ce jour et, dans le même temps, le plus imparable mélodiquement. Sur les images de la remarquable vidéo signée Florian Jomain et Sébastien Martinez Barat, Perez à la voix déconstruite et reconstruite à l’autotune invoque la déesse Vanille, implore sa douceur devant un monde dont la méchanceté est devenue la valeur reine. Premier extrait de l’EP Sados à paraître en janvier, « Vanille » ne pouvait manquer de retenir l’attention de Diacritik qui est allé poser quelques questions à Perez, plasticien de la pop française, brillante étoile de sa génération.


Ma première question voudrait porter sur la genèse de « Vanille », votre hypnotique nouveau single qui sort aujourd’hui. S’il poursuit votre travail sur la pop engagé sur vos trois précédents albums, « Vanille » marque un saut vers une pop qui interroge plus avant encore ses présupposés mélodiques, ses fondamentaux rythmiques. Comment, tout d’abord, ce titre, véritable invocation à une déesse Vanille, est-il né ? Comment l’avez-vous produit, notamment les effets d’autotune, la voix très grave à la « Bob George » du Black Album de Prince ? Mirwaïs disait récemment qu’un titre réussi, c’est un titre où la composition devient indémêlable de la production même du titre. C’est l’impression que donne « Vanille » : en seriez-vous d’accord ?

Comme souvent dans mes chansons, les choses sont arrivées par tâtonnement, par expérimentation. Il y a une boucle instrumentale que l’on entend tout au long de la chanson, tantôt étouffée, sourde, tantôt brillante, lumineuse. Au départ, j’avais composé cette ritournelle qui m’évoquait quelque chose entre New Order et de la Rave 90’s, et j’ai commencé à chanter dessus, avec cette idée d’incantation adressée à « Vanille », une divinité aromatique capable de parfumer la cruauté. Mais je trouvais que l’instrumentale était trop intense, ce qui m’obligeait à pousser la voix, ça avait quelque chose de grandiloquent qui me déplaisait.

Alors j’ai commencé à enlever les fréquences aiguës de la boucle musicale, pour qu’elle devienne comme un tapis moelleux, confortable, sur lequel il était possible de chanter tout doucement. Et ces paroles sur la tentation du mal me sont apparues beaucoup plus pertinentes une fois délivrées avec retenue. En continuant à jouer avec le filtre sur l’instrumentale, en l’ouvrant progressivement, je me suis aussi rendu compte que ça donnait l’impression que la voix circulait dans l’espace, qu’elle était comme en train de rôder autour d’un club, entendant la musique depuis l’extérieur, hésitant à rejoindre la fête. Ça m’a donné envie de triturer les textures de la voix en retour, de lui appliquer différents traitements, de la rendre plastique. Et puis il y a ce passage où je chante un peu faux et où je ris, qui est à la fois un clin d’œil au morceau From disco to disco de Whirpool Production et une manière de créer encore un nouveau plan, en produisant une soudaine mise à distance de la chanson pop en train de se faire. C’est un titre qui est vraiment né de va-et-vient entre idées de production et choix de composition.

 

La vidéo de « Vanille » diffusée dès aujourd’hui est signée Florian Jomain et Sébastien Martinez Barat. Comment avez-vous décidé de la mise en image très forte de votre chanson ? On est quelque part entre Crash de Cronenberg et un travail de plasticien. On sait que vous préparez bientôt votre première exposition au printemps prochain en tant que plasticien : en quoi, pour vous, la vidéo est un geste plastique à part entière ?

Pour cette vidéo, Florian Jomain et Sébastien Martinez Barat ont eu le champ libre, je savais qu’ils allaient proposer quelque chose d’excitant. Ce sont des amis de longue date et j’ai entièrement confiance en leur inventivité. Il y avait quelque chose d’évident dans la mise en rapport entre la chanson et ces images de jeunes hommes qui malmènent des voitures agonisantes, en un ultime rituel avant leur destruction. Le dispositif des trois écrans qui parfois morcellent, parfois soudent la narration fonctionne comme un équivalent visuel à la manière dont la chanson est produite, avec ce côté carrousel, poupée russe. Ça peut effectivement évoquer des agencements d’images que l’on trouve dans les arts plastiques.

Pour cette première exposition que je prépare au printemps prochain au centre d’art L’Onde de Vélizy, la vidéo aura un rôle de premier plan. C’est un médium que j’affectionne particulièrement, mon dernier gros choc esthétique en la matière a été l’installation de Jeremy Shaw Phase Shifting Index au Centre Pompidou en 2020.

Un nouvel EP, Sados, sortira en janvier dont on aura évidemment l’occasion de reparler. Pouvez-vous cependant déjà nous dire quelle sera sa couleur musicale et sa tonalité thématique ? La méchanceté semble être au cœur de vos réflexions : comment la question y est-elle abordée ?

Pour chaque nouvelle sortie, j’aime proposer quelque chose qui tranche avec la sortie précédente. C’est ma façon de garder de l’excitation dans ma pratique. Sados a en plus la particularité de voir le jour après une longue période où j’ai beaucoup composé mais peu diffusé, hormis une reprise du O Superman de Laurie Anderson.

Musicalement, c’est un maxi qui voyage beaucoup, on y trouve des traces de New Wave, de RnB, de Garage House, de Trance, de Rave. La voix est souvent trafiquée, elle change de registres, de tonalités. Pour autant, et c’est le fil conducteur de ma discographie, je suis attaché aux gimmicks pop, à une forme de limpidité mélodique. Le titre renvoie à l’idée d’un sadisme au pluriel. Je trouve que la méchanceté est particulièrement mise en valeur dans notre société : dans le monde du travail, sur les réseaux sociaux, en politique. On admire ceux qui ne se laissent pas attendrir, qui n’ont pas peur de stigmatiser, de désigner des boucs-émissaires. On se joint volontiers à des opérations de lynchage. J’avais envie de m’intéresser à cela, d’interroger la pluralité de ces formes de méchanceté qui sont  comme des parasites de l’âme.

Julien Perez, « Vanille », label : étoile distante
Vidéo réalisée par Florian Jomain et Sébastien Martinez Barat