On entend beaucoup parler de fascisme en ce moment. Ça me rappelle l’entre-deux tours 2002 quand on n’avait d’autre choix ni d’autre motivation que voter contre le facho de service. (J’essayais de me rappeler la victoire de « la gauche » et du programme commun en 81, en la personne de François Mitterrand ; j’essayais de me souvenir si mon père en avait éprouvé de la joie, comme on serait fondé à le croire étant donné son appartenance politique supposée, sa condition d’ouvrier, ancien maquisard FTP ; aurait-il préféré Marchais à Mitterrand ? J’essayais de me souvenir s’il croyait encore en la politique à cette époque, s’il y avait jamais cru, mais les souvenirs s’étaient estompés sous les récits collectifs. Concernant ma mère, je n’en sais pas plus mais je me souviens qu’en 1981, le droit de vote pour les femmes, en France, n’avait pas quatre décennies d’existence, ce qui non seulement peut paraître incroyable, mais l’est). Ça m’inspirait une distance glacée, ces cortèges de l’entre-deux tours où les slogans bubblegum paradaient sans risque devant les caméras, pour repousser la bête immonde, avant que les postérieurs des combattants trouvent le repos sur les banquettes et les tabourets de bar des rues avoisinant le parcours, secteurs où, déjà, plus guère de familles modestes ne pouvaient se loger, évincées par les entrepreneurs en libéralisme immobilier, sociétal, progressiste et tolérant, qui n’avaient rien contre le shit, non plus, à condition que les nuisances des trafics, dont ils étaient parfois clients, se déroulent assez loin de leurs résidences sécurisées et des écoles huppées auxquelles ils confiaient leur descendance, sans trop se soucier de la carte scolaire.
Ça sentait le fric, la culture culturelle, l’humanisme publicitaire, le vide, l’arrogance inculte, l’hypocrisie et la bonne conscience.
Vingt ans après, l’odeur est toujours là. Mêlée à celle du sang des victimes du terrorisme djihadiste, des victimes du dérèglement climatique, aux hurlements d’effroi des candidats au refuge, que la Méditerranée accueille dans son grand linceul infesté de plastique.
La France, on le sait, est un pays de résistants. Ils pullulent à tous les coins de rue. Il y en a dans la presse, à la télé, à la radio, sur Twitter, à l’Université. Dans les ministères et les conseils d’administration. Chez Starbucks. Chez Arnault. Au Medef, au NPA et chez les Républicains. Avec ça pas de risque que le fascisme passe. Du moins celui dont on tient à fixer l’image : le Belzébuth de carnaval, bien repérable à ses grandes oreilles xénophobes et sexistes, son groin pétainiste, raciste, antisémite, islamophobe, et je ne sais quoi encore, le Grand Méchant Guignol sur qui ces vigies concentrent leurs jets de chamboule-tout.
Fatigue.
Il y a peu de choses plus tristes qu’un chat
écrasé.
La base du Capitalisme est de vendre quelque
chose pour
une somme bien supérieure à sa valeur.
plus vous saurez faire ça, plus vous pourrez
devenir riche.
on entube tous quelqu’un
chacun à sa façon.
Je vous entube en mettant des mots à la suite des autres.
Ceux qui poussent des cris de pies (à nids généralement assez confortables) dès qu’on aborde la question des conditions de l’immigration, de l’accueil des réfugiés ou de la ségrégation sociale (parquez-moi ces pauvres de toutes provenances, que je ne saurais voir, entre eux, on enverra de temps en temps d’autres pauvres en uniforme pour les calmer à la lacrymogène : on gère) nourrissent les transes monomaniaques des bateleurs du « grand remplacement ». Ni les uns ni les autres ne font honneur à ce qu’on espère encore pouvoir appeler, avec tous les égards qui lui sont censément dus, le débat démocratique. De ceux qui, par béatitude et/ou clientélisme, ouvrent grands les bras à « toute la misère du monde » pour l’assigner à résidence dans les merveilleuses enclaves où s’épanouissent déjà les douze millions de Français en dessous du seuil de pauvreté à ceux qui endossent la posture christique, tout aussi électorale, de sauveteurs d’une certaine civilisation française, c’est la même frénésie en quête de places qui suinte sur les chaînes infos et dans les talk-shows, à grand renfort de sondages, de « clashs » et d’« expertises ». Lorsqu’on veut garder un minimum d’honnêteté, ce spectacle censé présenter des positions inconciliables, en réalité complémentaires et interdépendantes, ne peut provoquer qu’un violent rejet fait, sinon de dégoût, en tout cas d’une sourde exaspération qui donne envie de poursuivre, toute exemplarité citoyenne en berne, sa promenade mélancolique à l’écart des jeux du cirque, où aucun bifteck défendu n’est plus ragoutant que l’autre. (Comme un vieux fond de civisme, de common decency, ou de respect candide pour la démocratie parlementaire nous habite encore, nous irons tout de même voter. Mais pour qui ?)
loin très loin dans la nuit de l’oiseau bleu
se trouve cette chose puissante qui pourrait nous sauver ; (…)
elle intimide les fourmis, se fout des scarabées
dans le nez ; (…)
cette chose sait mais elle ne parlera pas, (…)
elle s’épanouit dans l’ennui fondamental, (…)
elle pourrait nous sauver mais elle ne le fera pas ;
elle ne veut pas de nous ;
un jour elle envahira le soleil ;
mais pour l’instant on reste assis chez soi et on attend,
on s’arrête aux panneaux de signalisation et on
attend,
on tire sa crampe et on attend,
on pratique l’abstinence et on attend,
elle rit quand on pleure,
elle pleure quand on rit ;
elle attend avec nous. *
Mais qu’importe tout cela : on nous fait savoir qu’il y aura peut-être une PÉNURIE DE JOUETS POUR NOËL.
* La première citation est tirée de rêveries, la seconde est un extrait de la chose. Ces deux poèmes de Charles Bukowski se trouvent dans le recueil Tempête pour les morts et les vivants (traduction de Romain Monnery, Au Diable Vauvert, 2019).