Le sujet aurait mérité plus de retenue, un traitement moins mélodramatique, Dopesick, adaptation du livre de Beth Macy en série pour Hulu et diffusé en France sur Disney+, décourage d’entrée malgré la force de son propos, une mise en scène gigogne séduisante et un casting étoilé et talentueux.

Récit d’un des plus grands scandales médicaux et sanitaire de l’histoire des Etats-Unis, Dopesick est à la série ce que Dark Waters ou Erin Brockovich sont au cinéma : la mise en fiction d’une triste réalité, d’un fait de société, d’un drame comme savent le produire les studios hollywoodiens. Dans la seconde moitié des années 90, responsable de laboratoire pharmaceutique, Richard Sackler a une obsession : il veut chasser la douleur de ce monde et inventer le premier médicament qui fera cesser les souffrances de milliers, de millions d’Américains. Dans sa croisade pour soulager les malades, visionnaire animé des meilleures intentions du monde ou gourou cynique, il semble prêt à tous les sacrifices : temps, argent, avenir de l’entreprise familiale… Habité, inquiétant, Michael Stuhlbarg campe un Richard Sackle écrasé par le poids de son héritage, peut-être génial et sûrement névrosé en butte aux actionnaires – ses cousins, oncles, tantes, tous au board du conseil d’administration.
Tiré d’une histoire malheureusement vraie, à la fois récit d’enquête judiciaire et chronique sociale, Dopesick est un drama on ne peut plus classique dans la forme même si sa structure narrative en allers et retours incessants entre passé et présent impriment rythme et suspense. Sur le fond, le propos est en revanche édifiant, didactique et terrifiant : en relatant la genèse d’une crise sanitaire et sociale sans précédent, Dopesick travaille sur la mémoire, en remontant le temps, des prémices à la chute. Pointant les agissements coupables des laboratoires Purdue, « Big Pharma » bien réel, Dopesick relate les motivations questionnables, les errements, les compromissions, les fraudes, les tromperies et leurs conséquences pour le moins criminelles. Parce qu’elle emprunte aux codes des séries policière et de cour, Dopesick captive autant qu’elle peut rebuter quand elle bifurque vers le mélo. Le sort des victimes, leurs parcours, leur souffrance, au centre des deux premiers épisodes, sont traités avec un pathos préjudiciable. De même, les complices à leurs corps médical défendant (Michael Keaton, impeccable) ou acteurs d’une dérive annoncée (Will Poulter, parfait de cynisme mercantile) tendent par endroits vers la caricature et le surjeu, à l’image de Rosario Dawson qui campe un agent fédéral vite désabusé.

Le sujet est fort, parce qu’il retrace des faits réels, parce qu’il lève des voiles sur des pratiques et des omertas : le laboratoire a conçu une nouvelle molécule révolutionnaire présentée sans risque de dépendance, les dirigeants, les commerciaux, ont travesti la vérité (pour ne pas dire menti), trompé l’administration fédérale (un peu trop complaisante). Les conséquences ont été et sont toujours dramatiques : en conduisant les prescripteurs à prescrire un médicament à des doses de plus en plus fortes à grands renforts de cadeaux, séminaires, avantages en tous genres, Purdue Pharma est (avec d’autres laboratoires, un des responsables d’une crise sans précédent. Même si Dopesick se regarde parfois avec déplaisir au regard d’un mise en scène trop appuyée et manichéenne, l’histoire de cette fraude qui conduira le gouvernement américain à déclarer l’état d’urgence sanitaire nationale est un parfait rappel de ce dont les hommes en général (et l’Amérique souvent) sont capables : faire le mal au nom du « greater good » (le plus grand bien) qui finit par les dépasser.
Dopesick, mini-série en 8 épisodes, créée par Michael Cuesta, Bary Levinson, Patricia Riggen, Danny Strong, adapté du livre de Beth Macy, avec Michael Keaton, Will Poulter, Peter Sarsgaard, Michael Stuhlbarg, Rosario Dawson, Kaitlyn Dever, John Hoogenakker dans les rôles principaux. Produit par Disney+/John Goldwyn Productions – 20th Century Fox Television /20th Television/Fox 21 Television Studios/Littlefield Company/Touchstone Television, diffusé par Hulu et Disney+.