Quand j’étais adolescent je fumais des Rothmans et quand j’étais étudiant je fumais des Camel et quand je vivais à Arles je fumais indifféremment des Camel et des Marlboro et lorsque je suis arrivé en Chine, deux heures après avoir atterri à l’aéroport de Qingdao et quatre heures après avoir quitté l’aéroport de Shanghai où un homme avait entrepris de voler ma valise, j’ai fait le tour de l’appartement qui était mis à ma disposition par l’Université Océanique, au cinquième étage d’un immeuble que rien ne différenciait des immeubles voisins sinon la taille et la forme de l’arbre qui était planté devant lui, j’ai allumé le ventilateur, j’ai enlevé mes chaussures puis j’ai déposé ma valise sur un matelas dans la chambre, j’ai changé de vêtements en me demandant pourquoi ce matelas était recouvert d’une housse en plastique et j’ai allumé la télévision et j’ai regardé les arrêts de jeu d’un match de football et j’ai éteint la télévision et je l’ai débranchée et je l’ai rangée au fond d’une armoire puis j’ai remis mes chaussures avec une grimace de douleur parce que mes pieds étaient enflés et je suis sorti du campus par une porte flanquée d’une guérite à l’intérieur de laquelle un soldat fumait une cigarette en lisant le journal et il y avait une petite rue en pente qui menait à une avenue où passaient beaucoup de bus et beaucoup de camions et j’ai marché vers la gauche car j’ai tendance lorsque j’ai le choix entre la droite et la gauche à toujours choisir la gauche, comme j’ai tendance lorsque j’ai le choix entre l’endroit et l’envers à toujours choisir l’envers, puis je suis entré dans une épicerie pour acheter une bouteille d’eau, et lorsque je me suis dirigé vers le comptoir en m’interrogeant sur le prix de la bouteille d’eau et sur la manière dont je comprendrais ce prix, après avoir posé sur le comptoir un billet de 100 yuan qui a suscité un soupir d’agacement sur le visage de la dame qui était à la caisse, et qui était âgée de soixante-dix ou de soixante-quinze ans, j’ai vu qu’étaient disposés sur des étagères en contreplaqué beaucoup de paquets de cigarettes dont les marques m’étaient inconnues, à l’exception des Marlboro et des Lucky Strike que je reconnaissais à leur logo, et qui étaient vendues dans des emballages souples. J’ai pointé du doigt un paquet de Marlboro, puis un paquet de couleur métallique où était dessinée une pagode rouge flanquée de trois idéogrammes qui flottaient dans le ciel au-dessus d’une chaîne de montagnes, et la dame m’a rendu soixante-dix-neuf yuan sous l’espèce d’un billet de cinquante, d’un billet de vingt, d’un billet de cinq et de quatre billet de un yuan, tous à l’effigie de Mao Zedong mais de couleurs et de tailles différentes, et je suis ressorti de l’épicerie en boitant, j’ai longé l’avenue où des étudiants marchaient en parlant à voix basse, et plus loin il y avait un kiosque à journaux où une dame vendait elle aussi des cigarettes, et un vendeur à la sauvette qui exposait des fruits sur le trottoir, et un autre qui exposait des mangas, et un autre qui vendait des couteaux et des briquets, et je me suis assis sur un banc. J’ai ouvert le paquet de Marlboro et la cigarette n’avait pas un goût de Marlboro. Elle avait un goût d’ammoniaque que j’attribuais au manque de sommeil, au décalage horaire, à la fatigue, à l’humidité. Puis j’ai ouvert le paquet de couleur métallique et le goût de la cigarette était étrange, un peu âcre, un peu métallique, lui aussi, mais il était agréable, malgré tout, il ne me donnait pas envie de vomir. Je suis resté sur le banc jusqu’à la tombée de la nuit. Puis j’ai rebroussé chemin parce que j’avais rendez-vous à dix-huit heures avec le directeur du département des langues étrangères et j’ai tiré les rideaux et je me suis allongé sur le canapé et j’ai fumé une autre cigarette et lorsque s’est achevé le repas avec le directeur du département des langues étrangères puis lorsqu’il m’est apparu que je ne pourrais pas dormir parce que j’étais trop fatigué je suis retourné à l’épicerie et j’ai acheté un autre paquet de cigarettes de la même marque et une autre bouteille d’eau et j’ai entrepris, dans la brume, de trouver la mer Jaune.