Revue Blink Blank : « Notre profession de foi tient en une phrase : l’animation est un art »

© Revue Blink Blank

En lien avec le 31e Salon de la Revue qui se tient le 16 et 17 octobre, Diacritik, partenaire de l’événement, est allé à la rencontre de revues qui y seront présentes et qui, aussi vives que puissantes, innervent en profondeur le paysage. Entretien avec Xavier Kawa-Topor, directeur éditorial et membre du comité de rédaction de la remarquable revue Blink Blank.

Comment est née votre revue ? Existe-t-il un collectif à l’origine de votre désir de revue ou s’agit-il d’un désir bien plus individuel ? S’agissait-il pour vous de souscrire à un imaginaire selon lequel, comme l’affirmait André Gide, il faut avant tout écrire dans une revue ?

La revue est née d’un constat, l’absence de publication en langue française dédiée au film d’animation et de la volonté de la NEF Animation, association nationale dédiée à la recherche et la création dans ce domaine, de pallier, dès sa création en 2015, cette lacune. J’ai animé cette démarche collective de la profession à laquelle se sont associées la Cinémathèque Québécoise et les éditions WARM.

Il s’agissait plutôt de considérer qu’une telle revue pouvait jouer un rôle dans la reconnaissance en tant qu’art de l’animation – parent pauvre du cinéma – comme l’avait fait des publications telles que Les Cahiers de la Bande Dessinée ou Phénix pour le 9e art. Nous souhaitions aussi donner à de nouveaux auteurs et à de nouvelles autrices et aux artistes eux-mêmes l’envie et l’opportunité d’écrire sur l’animation.

Quelle vision de votre discipline entendez-vous défendre dans vos différents numéros ? Procédez-vous selon une profession de foi établie en amont du premier numéro ?

Notre profession de foi tient en une phrase : l’animation est un art. Cette idée qui semble une évidence pour les spécialistes, reste encore à propager auprès des cinéphiles. La reconnaissance de l’animation est en effet récente et fragile, et reste pour partie à conquérir. La revue s’applique à éclairer cet art selon différentes facettes : on trouve dans chaque numéro aussi bien des points de vue critique sur les films, des textes théoriques écrits par des artistes, des mises en perspectives historiques, la mise en lumière des cheminements créatifs, ainsi qu’un dossier thématique qui s’applique à montrer comment l’animation porte un regard sur la réalité qui nous entoure et son actualité politique, sociétale, écologique, culturelle etc…

Comment décidez-vous de la composition d’un numéro ? Suivez-vous l’actualité ou s’agit-il au contraire pour vous de défendre une vision de votre pratique détachée des contingences du marché éditorial ? Pouvez-vous nous présenter un numéro qui vous tient particulièrement à cœur ? 

L’actualité nous donne le « la ». C’est à partir d’elle que nous élaborons à la fois le dossier critique (courts et longs métrages, séries…), le dossier thématique (« animation et écologie », « éros au féminin », « chemins et récits de l’exil ») et jetons des passerelles vers les films de patrimoine dans la rubrique « passé présent ». Cependant, nous n’entendons pas rendre compte de toute l’actualité mais d’une sélection d’œuvres qui nous semblent mériter une approche critique et ce avec recul, d’autant que la revue paraît tous les 6 mois. A travers cette sélection, nous défendons une certaine idée de l’animation qui relève à la fois de critères artistiques et éthiques. Le dossier « fabrique de l’animation » se détache lui complètement de l’actualité pour s’intéresser au cheminement créatif des artistes. Quant aux textes théoriques et à la partie « voix off », ils répondent à une volonté de traiter de questions de fond en s’émancipant complétement du calendrier des sorties.

Le dernier numéro de Blink Blank est toujours celui qui me tient le plus à cœur. Tout au long de ses 160 pages abondamment illustrées, on trouve tour à tour le portrait d’un animateur d’effets spéciaux de légende, Phil Tippett (Star wars, Jurassik Park, Robocop), un dossier sur la question des réfugiés et de l’exil vu par le cinéma d’animation contemporain (Josep, Flee, La Traversée, Interdit aux chiens et aux italiens…) l’actualité des films, un dossier sur les films hybrides mêlant cartoon et prise de vue réelle (de Mary Poppins à Space Jam 2), des Work in Progress de Unicorn Wars d’Alberto Vazquez et Séraphine de Sarah Van Den Boom et Marie Desplechin, un texte théorique de Yamamura Kôji sur « le monisme de l’animation », un superbe portfolio de Marie Larrivé, une analyse de Michel Chion sur le rapport entre musique, rotoscopie et plasmacité des corps dans les cartoons des frères Fleischer etc…

À la création de sa revue Trafic, Serge Daney affirmait que toute revue consiste à faire revenir, à faire revoir ce qu’on n’aurait peut-être pas aperçu sans elle. Que cherchez-vous à faire revenir dans votre revue qui aurait peut-être été mal vu sans elle ?

Nous cherchons à faire revoir les films d’animation non pas isolément mais considérés à l’aune d’une histoire des formes et de ses enjeux esthétiques, culturels, politiques. 

Est-ce qu’enfin créer et animer une revue aujourd’hui, dans un contexte économique complexe pour la diffusion, n’est-ce pas finalement affirmer un geste politique ? Une manière de résistance ?

C’est en tout cas tenter de poser un acte, de s’inscrire en faux contre le flux et l’amnésie consumériste pour affirmer au contraire la permanence des œuvres.

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