Ça commence comme ça : “Vieil ami, je viens de relire ta longue lettre, mais je crois qu’en réalité je ne vais pas y répondre, non pas qu’il n’y ait rien à répondre à tes conclusions définitives, ni que je partage entièrement ton opinion, mais plutôt que je préfère discuter oralement de la chose avec toi ce soir où tu dois, paraît-il, nous faire chez Bernard, une « conférence » à ce sujet.” Datée du 25 janvier 1946, cette lettre qui ouvre le très attendu Nouveau Roman – Correspondance 1946-1999 (Gallimard, édition établie, présentée et annotée par Carrie Landfried et Olivier Wagner) est de la main d’Alain Robbe-Grillet et s’adresse à Claude Ollier. L’un comme l’autre ont vingt-trois ans.
C’est au S.T.O. (Service du Travail Obligatoire) à Nuremberg que les deux hommes se sont rencontrés. S’y trouvait aussi le futur peintre Bernard Dufour – le “Bernard” de cette lettre. Cette missive, la première donc – ou du moins la première retrouvée – de cette Correspondance entre “nouveaux romanciers”, nous informe de plusieurs choses. Tout d’abord, elle est en réponse à une “longue lettre” de Claude Ollier – lettre qui, comme toutes celles que ce dernier lui a envoyé jusqu’en décembre 1952 (soit quand même près de 7 ans plus tard), a disparu, et dont on ne peut imaginer le contenu qu’à travers ce que son destinataire lui répond. Ensuite, on sent qu’il se passe quelque chose de capital entre ces deux hommes en quête d’échanges soutenus : comme un enjeu – une quête d’avenir. Ollier semble à cette époque le plus engagé, et clairement avant-gardiste, surtout côté musique. Robbe-Grillet était déjà probablement ce qu’il est assez vite devenu : quelqu’un qui ne diffèrera pas le passage à l’acte, en homme sûr de lui et de caractère expansif, alors qu’Ollier demeurera toute sa vie un personnage secret, réservé et peu bavard, même si certaines pages de cette Correspondance peuvent le montrer volubile, voire “marrant”. Quant à la conférence annoncée, Alain Robbe-Grillet lui écrit le lendemain : “Très intéressante mon vieux ta conférence d’hier soir ! D’ailleurs tout ton auditoire était transporté.” On enrage que tout cela ait été perdu, sans savoir s’il s’agit de destruction volontaire, d’égarement, de manque de soin (il semble pourtant que les deux hommes avaient en commun d’être maniaques, experts en rangement). En attendant, il faut faire avec cette réalité : les 15 premières lettres publiées dans cette Correspondance, soit 32 pages de ce livre (sur 257 consacrées à la publication de 243 lettres échangées par sept personnes), autrement dit un huitième de la totalité, sont signées du seul Robbe-Grillet.

La quinzième, datée du 11 décembre 1952, et adressée à “Mon vieux toto”, annonce à Ollier que Les Gommes paraîtront en mars prochain. Il l’informe aussi que “[Georges] Lambrichs m’a rendu Girouettes, Autre versant et Gare. Il les a lus. Il m’en a parlé en termes assez vagues : « trouvé dedans des choses intéressantes », etc. Je lui ai posé formellement la question qui t’importe : « À votre avis, à vous le spécialiste, est-ce que ça vaut le coup de continuer ? Autrement dit : est-ce que ce garçon (toi) est un écrivain ? » Il m’a répondu aussi formellement : « oui ! Il faut qu’il travaille ». Il me semble qu’il a raison.” Et, à la toute fin : “Reçu de toi une lettre assez démoralisée à ce qu’il m’a paru.” En ces derniers jours de 1952, l’avance de Robbe-Grillet est attestée. Les échanges peuvent maintenant se dérouler à deux voix. Et bientôt trois : le 14 novembre 1953, Robert Pinget, débarque dans cette conversation pas encore vraiment collective avec une lettre passionnante où il avoue, à l’aube de sa captation dans le “Nouveau roman” : “Je n’aime pas le roman. C’est par conscience professionnelle que je m’y suis astreint. Je l’abandonnerai bientôt, j’espère.” Le 30 avril 1954, il écrit à Robbe-Grillet : “Que devenez-vous ? moi, rien. Ne nous perdons pas de vue, il faut faire bloc contre les imbéciles.” Le 23 octobre 1956, Claude Mauriac les rejoint avec quelques lignes en apparence plus anodines, mais intéressantes : “J’espère que ma période de concessions à outrance va se terminer. Je me dégoûte un peu. Mais c’était pour la bonne cause – toujours si mauvaise.” Jusqu’en 1957, Alain Robbe-Grillet est au centre de tous les échanges. Dans la 57e et dernière lettre de la première partie de ce livre, Avant le nouveau roman : premières explorations, il écrit à Claude Ollier qui vient de lui envoyer quelques pages de La mise en scène (qui sera son premier livre publié, Prix Médicis en 1958) : “Eh bien, ce début est très bon. […] Il y a même des choses excellentes. […] Dans l’ensemble c’est écrit, infiniment plus que les trois quarts du Régicide. […] J’ai passé tes 15 pages à Lindon.”

Avec la deuxième partie, Le moment nouveau roman, les choses se compliquent. Tout d’abord parce qu’arrivent assez vite Nathalie Sarraute, Claude Simon et Michel Butor. Et ensuite parce qu’Alain Robbe-Grillet porte maintenant plusieurs casquettes : d’écrivain, mais aussi de conseiller littéraire de Jérôme Lindon, donc d’intermédiaire entre les auteurs et leur éditeur. Simon ouvre une de ses lettres ainsi : “Cher Alain et Directeur Littéraire”. Il exprime ses réserves et ses interrogations. Pinget de même. Il arrive à Sarraute de se mettre en colère, comme on le comprend à la lecture d’une lettre que Robbe-Grillet lui a envoyée (on ne pourra lire l’initiale de Sarraute qui a, une fois encore, disparu) : “Vous perdez votre sang froid. Vous en venez même à me parler de « guerre ». J’en éprouve une peine réelle, mais je n’espère plus guère vous convaincre. Croyez malgré tout chère Nathalie, si vous le pouvez encore, à mon amitié.” Ces moments où il y a de l’électricité dans l’air sont parmi les plus intéressants de cette Correspondance, à égalité avec ceux où se manifeste une véritable amitié qui a don de libérer la parole des protagonistes (d’autant plus que ces derniers ne s’écrivaient pas avec l’intention de publier un jour leurs échanges). Claude Mauriac – l’auteur le plus éloigné du “Nouveau roman”, même si apprécié, notamment par Sarraute – est assez peu présent (14 lettres, dont 10 à Nathalie Sarraute), ce qui n’est guère étonnant. Mais en ce qui concerne Michel Butor, qui l’est encore moins que lui (seulement 11 lettres, toutes à Nathalie Sarraute), le manque est cruel : où sont passés les envois de cet infatigable épistolier qui détestait le téléphone et consacrait beaucoup de temps au courrier ? Le 28 décembre 1989, Claude Ollier lui écrit : “Cher Michel Butor, / Votre lettre si aimable m’a beaucoup touché. J’ai plaisir à vous compter parmi ceux qui apprécient mes livres. Ces livres ont peu de lecteurs, mais ce sont les meilleurs d’entre les lecteurs, et j’en suis heureux.” Pour en avoir parlé avec chacun des deux, j’ai pu constater que, bien que ne s’étant quasiment jamais rencontrés, ils avaient une grande estime l’un pour l’autre. Le jour où je lui ai appris la mort d’Ollier, Butor m’a dit : “Quel dommage que nous ne nous soyons que si peu rencontrés. Il faut dire que, ces années-là [entendons Le moment nouveau roman], il y avait quelqu’un qui nous en empêchait.” Il y a toujours eu une grande inimitié entre Butor et Robbe-Grillet, qui ne s’est pas arrangée avec le temps. Ollier étant, tout au long des années 1950 ainsi qu’au début des années 1960, proche de son “grand ami depuis le S.T.O.”, ses rapports avec Butor ne pouvaient qu’être distants. Plus tard, la rupture entre O. et R.-G. leur a permis de s’exprimer enfin avec franchise, et en toute amitié, même s’ils n’ont jamais trouvé le moyen de se rencontrer à nouveau, en chair et en os : solidarité entre poètes, ou plutôt en tenants de genre hybrides, et non plus entre romanciers.

Quant à Pinget, sa correspondance avec Ollier montre les mêmes lacunes que celle entre Robbe-Grillet et Ollier : la plupart des envois de ce dernier manquent, surtout les premières années ; mais ce qui nous en est restitué révèle un lien assez puissant, de ceux qui peuvent s’établir entre personnes qui ne se voient quasiment jamais, mais qui se montrent en permanence solidaires, et admiratifs l’un de l’autre. Ce qui inquiétait Robbe-Grillet, si l’on en croit le journal de sa femme, Catherine, qui écrit 16 juin 1960 : “Ollier est arrivé l’air agressif. Le contact avec Pinget pendant six mois aux États-Unis ne lui a guère réussi. Il veut maintenant affirmer sa personnalité, c’est-à-dire se séparer d’Alain. […] Il semble d’ailleurs que Pinget, Boulanger, Ollier et peut-être Simon fricotent ensemble, sur le dos d’Alain évidemment. Ce petit monde se voit pour décapiter la « tête de file » et l’accuser de tous les péchés de la terre.” Mais, bien entendu, cela ne s’est pas passé ainsi : pas de complot ; il s’agissait simplement d’en finir avec les chefferies. Simon ne sera pas le dernier à glisser, de manière cryptée, dans une de ses missives (à Jean Ricardou) : À BAS L’ARMÉE (comprendre : le “Nouveau roman” ne doit pas devenir une armée avec un chef). Il a pris du galon. En témoigne cet échange très sec : “Alain Robbe-Grillet : « Neuilly, le 5 décembre 1987. Mon cher Claude, / Est-ce que tu ne deviendrais pas un peu dingo ? Bien cordialement, / Alain » // Claude Simon : « Mon cher Alain, / Bien reçu ton alarmante question. Figure-toi qu’il y a deux ans, je me suis (et je n’ai pas été le seul…) posé le même à ton sujet. Amusant non ? Bien cordialement. / Claude Simon ».”

Parmi ses innombrables mérites, cette Correspondance a celui de clarifier les relations entre les nouveaux romanciers. Comme un baromètre au jour le jour. Bien entendu, on apprécie les tempêtes. Et l’humour dont témoignent certains échanges. Robert Pinget est passé maître en la matière : “Le 6 octobre 1969 à Claude Ollier : Cher jeune homme, / Ta lettre me fait d’autant plus plaisir qu’elle me fait très plaisir.” Et neuf ans plus tôt, au même : “Ich schreibe dir eine bafouille, it’s easier because ich bin nicht tout le temps between 12 and 14 at home zum telephonieren.” Ou encore, en 1972, accusant réception de La Vie sur Espilon : “M Robert Pinget remercie Monsieur Claude Ollier de son superbe corps olympique, qu’il se propose de garder en otage avant de … l’avaler.” Etc. C’est un régal. De missive en missive (mi vive dirait Butor), on voit clairement comment les choses évoluent entre les protagonistes, le plus souvent soudés, malgré quelques différends, mais n’hésitant pas à manifester leur singularité, en non-membres d’une non-école. Et ce, malgré de grands trous dans les échanges, que ce soit, comme déjà relevé, à cause de pertes, ou bien parce qu’il leur semblait plus simple de se téléphoner, sans oublier qu’ils pouvaient passer d’assez longs moments sans ressentir le besoin de s’écrire. Ce qui les a parfois conduits à exprimer après coup quelques regrets : “17 avril 1998, Claude Ollier à Claude Simon : Cher Claude, […] j’ai souvent regretté qu’on se soit si peu revus depuis si longtemps. / Je viens de temps en temps à Paris. Si l’envie de prenait d’une rencontre, fut-elle brève, je te laisse adresse et téléphone. Je serais content de bavarder un peu avec toi.” Et Simon, quelques jours plus tard : “Je voudrais aussi, mais je ne suis pas encore remis d’une saleté de pneumo-infection qui a nécessité mon transport d’urgence à l’hôpital et ma laissé complètement sur le flan…” Les deux hommes, âgés, ne se reverront pas, mais échangeront par écrit sur divers sujets, comme par exemple la nécessité d’interdire le Front national. La toute dernière lettre – puisque les éditeurs de cette Correspondance ont décidé d’arrêter cette Correspondance en 1999 – est de Nathalie Sarraute à Michel Butor. Comme ce dernier avait proposé de lui rendre visite, elle lui répond simplement qu’elle “serait très heureuse de le revoir”. Et effectivement, cette rencontre a eu lieu, le 9 mars 1999, quelques mois avant la disparition de Sarraute, le 19 octobre, à l’âge de 99 ans.

En fouillant un peu, on trouve nombre de choses étonnantes, comme ces mots de Claude Simon à Nathalie Sarraute, le 21 décembre 1962 : “Je vous confirme qu’entre le 16 juin 1961 et l’autre jour, 13 décembre 1962, je n’ai pas vu une seule fois Alain Robbe-Grillet, ni même ne lui ai écrit.” Diable ! Sarraute lui parle quelques jours plus tard de “ce monstre d’Alain.” Il est curieux de constater qu’après mai 1964, on ne trouve plus la moindre lettre signée Alain Robbe-Grillet, à l’exception de celle du 5 décembre 1987 où il traite Claude Simon de “dingo”. Ce qui n’empêche pas les “nouveaux romanciers” d’aller de concert en 1971 à Cerisy – en l’absence physique de Michel Butor qui se contente d’envoyer un texte –, puis en 1982 à New York –cette fois sans la présence de Butor et Ollier qui refusent d’y participer. L’organisateur de ce deuxième colloque, Tom Bishop, se retrouve le 26 novembre de cette même année 1982 face à Claude Ollier dans l’émission de Bernard Pivot, Apostrophes. Si les deux hommes se parlent de manière courtoise, c’est sans grande connivence (Bishop affirmant qu’Ollier revient au “Nouveau roman”, ce dernier lui répond que cette affaire le laisse indifférent). Au même moment Robert Pinget écrit à l’auteur de Mon double à Malacca : “Cher ami, / Je suis en train de me plonger dans ta prose qui ne m’a jamais parue aussi poétique. Certaines longues phrases, sinueuses, gorgées de sens, me font une impression de dépaysement, d’éblouissement, et en même temps de sérénité profonde. […] Il y a là-dedans beaucoup de science et de tendresse.” Les lettres d’Ollier à Pinget ayant, pour l’essentiel, disparu, je dois témoigner qu’à chaque nouveau livre de ce dernier, l’œil d’Ollier s’illuminait. Il a même passé ses derniers jours à relire tout Pinget.

Bref, dans l’ensemble, c’est vivant, on s’amuse assez souvent, et c’est là l’essentiel. Notons que ce magnifique travail est publié chez Gallimard, l’éditeur historique de trois dissidents : Nathalie Sarraute (“pléiadisée” de son vivant), Michel Butor et Claude Ollier, même si ce dernier a claqué la porte en 1975, comme il l’avait déjà fait avec Minuit au milieu des années 1960 (la plus grande partie de son œuvre a trouvé depuis refuge chez P.O.L). Les liens entre Butor et Gallimard n’auront pas été plus simples, car s’il y a publié certains de ses livres les plus importants, ses “œuvres presque complètes” (douze volumes de plus de mille pages chacun) sont aux Éditions de la Différence. Robbe-Grillet, Simon (lui aussi “pléiadisé”, donc “gallimardisé” post mortem) et Pinget, quant à eux, sont restés, pour l’essentiel, fidèles aux Éditions de Minuit.
Je n’ai pas encore parlé de l’introduction, signée Carrie Landfried et Olivier Wagner : une trentaine de pages mettant en évidence les lignes de tension entre les protagonistes de cette vieille affaire. Le choix d’intégrer Claude Mauriac plutôt que Samuel Beckett, Marguerite Duras, ou même Jean Ricardou, à ce corpus d’auteurs leur revient. La célèbre “Photo Minuit” de 1959, réalisée par Mario Dondero, est probablement à l’origine de cette décision. “Les auteurs de cet épisode littéraire ont aujourd’hui disparu. [Leurs] vieilles querelles, était-on en droit de penser, avaient désormais sombré dans un silence définitif. […] [Mais] se pencher sur les échanges épistolaires de ces écrivains, c’est faire la découverte de toute une partition originale ; nous connaissions déjà le thème de cette fugue […], mais nous n’en avions jamais entendu le contrepoint.” Ces lettres “sont les dernières traces de voix désormais tues” écrivent Carrie Landfried et Olivier Wagner. Et il est vrai qu’il s’agit d’un livre polyphonique. Les éditeurs ont raison de noter que ce ne sont pas les “vedettes” qui apportent le ton le plus incisif, mais ceux qui ont été, avec le temps, un peu oublié, la critique journalistique préférant s’occuper de ce qui a le vent en poupe. C’est le cas de Robert Pinget et de Claude Ollier, ce dernier étant, selon Landfried et Wagner, “incontestablement la plus grande révélation de cette correspondance. Malgré sa production littéraire prolifique, il reste le moins connu des auteurs associés au « Nouveau roman ».” Cette publication, qui suit un essai-portrait (Le Dissident secret), un livre de chroniques cinématographique inédites (Ce soir à Marienbad) et un numéro de la revue Europe (dont une centaine de pages sont consacrées à son travail), devrait contribuer à redonner à Claude Ollier la place qu’il mérite. Mais les journalistes et autres passeurs en profiteront-ils pour prendre enfin connaissance de son travail, pourtant accessible ? Les premiers articles parus témoignent d’un changement. Nicolas Weill écrit dans Le Monde qu’“Ollier manifeste une multiplicité impressionnante de compétences et d’expériences. Il initie patiemment Robbe-Grillet à, la musique atonale. Il se montre surtout le plus politique de tous, fort de son expérience marocaine, sous les balles qui sifflent, des violences qui accompagnent la décolonisation.” Politique ? En effet, comme en témoigne ce court fragment d’un texte de ce dernier (publié dans “Les partitions de Claude Ollier de Mireille Calle-Gruber) relatif au refus de son deuxième livre, Le Maintien de l’ordre, par Minuit. Il a été en grande partie repris par Christophe Honoré dans sa pièce de théâtre, Nouveau roman, où l’acteur jouant Claude Ollier s’adresse à Jérôme Lindon et Alain Robbe-Grillet : “Les Éditions de Minuit ont refusé ce livre en 1960, décidant qu’il était un récit-témoignage et décrétant alors, bien restrictivement, que le « Nouveau roman » lancé depuis cinq ans ne devait pas traiter de témoignage ou de politique. Mais : où commence, où finit le politique ? Toute narration ne participe-t-elle pas, d’une manière ou d’une autre, du politique ? D’autre part, au nom de quoi restreindre le champ d’action de tout « Nouveau roman », passé ou à venir ? Au nom de quoi décider que ce roman pourra, ou devra, parler de ceci ou non de cela ? Est-ce là la vie d’une avant-garde, ou sa fermeture déjà, la clôture de son élan ? […] À travers le phénomène dit « Nouveau roman » depuis 1955, se posait la question de la survie du roman lui-même : il n’était pas futile de penser que l’idée du romanesque était minée dès avant la seconde guerre mondiale sous l’effet d’éclatements divers depuis le début du siècle, à plus forte raison après cette guerre et le naufrage des idéologies humanistes qui sous-tendaient ce romanesque. Voilà que ce débat se trouvait évacué avant terme, et le « Nouveau roman » stabilisé, par la volonté de ses promoteurs, dans un « maintien de l’ordre romanesque » de bon ton.”

Claire Devarrieux semble, elle aussi, aller (un peu) dans ce sens. Mais cette dernière relève, dans son article de Libération, que la vivacité, la drôlerie, l’originalité d’Alain Robbe-Grillet sont le ferment des meilleurs textes de ce volume – ce qui n’est pas faux, mais comme déjà vu, essentiellement dans les premières années. Ces écrivains restent parmi les plus inventifs de leur époque. Certains ont cru bon de les enterrer, mais on n’en aura pas de sitôt fini avec eux, et c’est une excellente nouvelle que cette Correspondance reçoive quelques lauriers critiques. Quittons-nous avec la toute fin d’une des lettres que Robbe-Grillet a envoyées à Ollier alors que ni l’un ni l’autre n’avaient encore publié : “26 octobre 1951. Vieux toto, / ça colle pas : y faudrait pas me prendre pour un miglionnaire ; j’étais très content de passer un mois (ou 2 ou 3) avec toi – mais à frais réduits : avec les zavantages de la vie très bon marché que tu m’avais fait miroiter. Si y faut traîner dans les zotels et en plus verser 150 mille balles pour acheter ½ bagnole, ça ne va plus du tout, tu le comprendras sans peine ! D’ailleurs, de toute façon, comme je t’exposais dans ma dernière lettre, je préfère retarder ce voyage jusqu’au printemps (ou plus tard ?) because la création. […] Je suis actuellement en train de me livrer sur une chambre minuscule (du genre de la tienne à Neuilly) au travail auquel tu te livrais il y a 2 ans. C’est un gros travail. Je suis dans le plâtre jusqu’au cou. / Viens donc m’aider ! Amitiés. Alain.”
Michel Butor, Claude Mauriac, Claude Ollier, Robert Pinget, Alain Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute et Claude Simon, NOUVEAU ROMAN Correspondance 1946 -1999, édition établie, présentée et annotée par Carrie Landfried et Olivier Wagner, Gallimard, 336 p., 20 €