Justice League partout, intérêt nulle part

© photos HBO Max - Warner Bros

Même par indulgence, même biberonné aux comics de DC et Marvel, on se passera allègrement de Zack Snyder’s Justice League, autrement appelé « version du réalisateur qui a enfin son mot à dire alors qu’à la sortie du film, sa vision artistique a été bafouée par des producteurs désireux de gagner de l’argent plutôt qu’un Oscar ». Pourquoi un ton si péremptoire ? Parce que tant qu’à passer 4 heures devant un écran, autant vous munir de votre smartphone pour aller attendre dans la file du vaccinodrome près de chez vous pour être sûr.e de prétendre au pass sanitaire lors de la réouverture des salles de cinéma.

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C’est peu dire que la version du réalisateur de Justice League n’apporte rien à cette histoire d’humanité sauvée de l’apocalypse par des surhumains augmentés — un milliardaire qui aime se déguiser en chauve-souris au lieu de se la couler douce dans son bath manoir et une amazone plus que centenaire. C’est un peu comme demander à Nicolas Dupont-Aignan d’expliciter sa pensée quand il dit que la classe politique française n’est pas au niveau de ses électeurs.

Passée la première surprise de voir la télé prendre la forme d’une diapositive 4/3 inhabituellement rognée sur les côtés (en se disant au passage que c’était bien la peine d’investir dans un écran de 169 cm de diagonale), Zack Snyder’s Justice League souffre d’emblée d’un énorme défaut : on n’a aucun souvenir du film initial. Réalisée par Zack Snyder et reprise par Josh Whedon après le retrait du réalisateur de 300 qui a plus fait pour l’utilisation du ralenti au cinéma que la VAR pour la sérénité dans le football amateur, la version courte n’a pas marqué les esprits ni de points dans le classement des blockbusters à ne pas rater. Si l’on s’en remet aux premières images, Superman serait mort et une mystérieuse boîte s’agite derrière un cyborg à capuche qui a le même regard que Schwarzenegger dans Terminator et se demande s’il ne devrait pas faire un peu de rangement. À moins qu’il ne craigne un futur forcément funeste parce qu’un carton à chaussures qui scintille dans un placard, c’est au mieux le pitch d’un livre de Marc Lévy, au pire une vraie menace qui va faire de nombreuses victimes.

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À des milliers de kilomètres sous les mers, un autre emballage fait des siennes et luit davantage que le front de Jean-Michel Blanquer faisant de l’exercice dans une cour d’école, provoquant l’incrédulité et la peur chez une atlante en armure qui pourrait postuler sans peine pour le poste de sirène pour enfants dans n’importe quel Marineland. Alors que dans une scène intermédiaire on a découvert l’acteur qui jouait Zuckerberg dans The Network contempler trois cubes avec le regard d’un trader sur des courbes haussières en pleine crise des subprimes, on en vient enfin au dernier emballage de mort qui se trouve dans une sorte de blockhaus antique au bord d’une falaise aux allures égéennes, cerné par des guerrières toutes lances et boucliers dehors. Et on espère que les six minutes qui viennent de s’écouler augurent peu de la suite, et on se dit que Zack Snyder a encore trois heures et 56 minutes pour nous convaincre qu’il a bien fait de revenir à sa table de montage.

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Ce n’est pas la première fois qu’on regarde une mouture allongée, mais autant on avait bien aimé Man of Steel, autant on était resté de glace devant Le jour d’après de Roland Emmerich. Dans le cas de Zack Snyder’s Justice League, on fait face à un autre genre de souci : le director’s cut de la ligue des justiciers souffre justement d’un découpage à la serpette mal affutée, les scènes ajoutées ou réintégrées ont une fâcheuse tendance à arriver comme un cheveu d’amazone dans la soupe kryptonienne. On se surprend même à penser qu’on s’est endormi entre deux plans qui n’ont rien à voir ensemble… passant sans prévenir d’une séquence de baston homérique dans un décor de Grèce antique à un paysage de désolation futuriste sorti d’on ne sait où ni comment avec un Batman attifé comme un mercenaire post-apocalyptique. Avant de comprendre que Bruce Wayne avait du sommeil en retard et cauchemardé comme personne le temps d’une micro-sieste très peu réparatrice.

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La question n’est pas de savoir s’il fallait faire une version longue de ce qui était jusque-là un épisode de transition entre le plutôt pas mauvais Batman vs Superman, L’aube de la Justice et une potentielle suite dans laquelle on comprendrait le concept d’anti-vie et pourquoi Lex Luthor ne se laisse pas repousser les cheveux, la question est plutôt de savoir si on n’aurait pas pu se contenter d’un DVD avec bonus et scènes coupées comme dans la magnifique édition de Songbird où l’on peut voir le moment où les scientifiques français parlent du Covid-23 comme d’une grippette sans gravité à la télévision pour expliquer qu’en pleine pandémie d’un virus aérosol, le port du masque en population générale n’est pas utile…

Bref, si on reconnaîtra aisément qu’on s’est toutefois moins ennuyé que devant le point presse et les power-point bigarrés de Jean Castex, on ne saura trop recommander de réserver le visionnage de Zack Snyder’s Justice League pour un dimanche pluvieux. Ou le prochain confinement.

Zack Snyder’s Justice League, de Zack Snyder, avec Henry Cavill, Ben Affleck, Gal Gadot, Jason Momoa, Ezra Miller, Ray Fisher, Jeremy Irons, Amy Adams, Amber Heard, Jared Leto, Connie Nielson, Robin Wright. Produit par Warner Bros, Atlas Entertainment, DC Films. Distribué par HBO Max. Disponible en France sur OCS.