Annette Messager : Close Up 5 (Entretien)

Désir, 2009 Courtesy Annette Messager/ Marian Goodman Gallery Paris/ New-York © Marc Domage

Chorégraphe de mots qu’elle peint, découpe, malmène, coud, dessine, triture, colle, brode, Annette Messager les associe avec ses sculptures, photographies, installations, nous entrainant ainsi dans la fantasmagorie de son univers enfantin et onirique. Au-delà de l’usage de l’écriture, cette œuvre, qui manipule l‘humour et le jeu, est nourrie de réflexions féministes et d’autobiographie fictive. Célébrée dans le monde entier, elle reçoit le Lion d’Or à la Biennale de Venise en 2005 et le Praemium Imperiale au Japon en 2016.

Marian Goodman Gallery lui confiera l’intégralité de son stand, en mai, pour Frieze New York. Au printemps, on pourra découvrir au Centre Metz Pompidou sa prochaine grande installation.

Comment te présenterais-tu ?

Au début, je m’appelais Annette Messager collectionneuse, Annette Messager truqueuse, Annette Messager femme pratique, etc.  Aujourd’hui, je me présente Annette Messager avec différentes identités, réunies. Je pense qu’on n’a pas une seule identité, on est composé d’identités multiples, diverses, opposées.

Comment présenter ton œuvre ?

J’aime bien jouer sur les identités et changer de matériaux, changer de formes. Au début, les gens ne comprenaient rien. Je me souviens d’un artiste qui me disait : « toi, cela ne pourra jamais marcher, il faut faire comme Warhol, il fait toujours la même chose », mais c’est exactement l’inverse que je veux faire (rires).

Ta première rencontre avec l’art contemporain ?

J’avais un père architecte qui faisait de la peinture, il en parlait tout le temps. Il m’amenait, le matin, à 7 heures, des croissants pour que je l’écoute. Les autres voulaient dormir. Moi, j’aimais bien. Donc l’art était associé aux croissants (rires). Dubuffet avait une maison pas très loin au Touquet. Je voyais Dubuffet, je voyais ses œuvres. Dubuffet, c’est aussi les cahiers d’art brut. Dans la région Nord-Pas de Calais, après la guerre, il y avait beaucoup de gens qui fabriquaient des trucs avec des obus, de la récupération… beaucoup d’art brut chez les mineurs.

Mes petites effigies, 1988,
Courtesy Annette Messager/ Marian Goodman Gallery Paris/ New-York

Tes plus grands chocs esthétiques?

Au Musée de Lille, j’ai été ébranlée, vers l’âge de 12 ans, par des tableaux de Goya : Les Jeunes et Les Vieilles. Puis, la découverte du fantastique chez James Ensor.

L’artiste disparu.e  que tu aurais aimé connaître ?

Goya, peut-être ! Et, plus proche de nous, Eva Hesse qui a une œuvre très importante, une sorte de minimalisme sentimental que j’admire.

Un.e  artiste d’aujourd’hui que tu aimerais rencontrer ?

Bruce Nauman, un des plus grands artistes actuels !

Ton musée préféré ?

Ce qui m’importe, ce sont les gens qui dirigent les musées et la qualité d’échange dans le travail avec eux. Le Musée d’Art Moderne, à Paris, du temps de Suzanne Pagé a été essentiel pour moi. J’ai vu toutes ses expositions qui m’ont nourri comme celle de James Lee Byars et bien d’autres…

Fables et récits, 1991. Courtesy A.Messager Marian Goodman Gallery

L’œuvre que tu aimerais posséder pour vivre avec ?

Cela changerait tout le temps, je suis plutôt instable (rires). J’aime les choses assez dures comme Goya mais je ne sais pas si j’aimerais voir un Goya en permanence. Vivre et aimer passionnément une œuvre, ce n’est pas la même chose.

Es-tu collectionneuse ?

Pas vraiment, mes collections sont passées dans mon travail. J’ai banni l’idée de la collection.

La musique qui t’émeut le plus ?

Celle de Purcell mais je n’écoute pas beaucoup de musique. J’écoute la radio, essentiellement France Culture.

Quel.le auteur.e a pu inspirer ton œuvre ?

Jeune, j’ai été marquée par Marguerite Duras, Jean Genet, Marguerite Yourcenar (L’Œuvre au Noir). Mais aujourd’hui, je lis, surtout, des biographies qui nourrissent plus mon travail… comme les entretiens de Robert Bresson sur Jeanne d’Arc ou encore Le Mausolée des amants d’Hervé Guibert.

Quel événement t’a marqué ces derniers temps ?

L’évènement du Covid, qui a provoqué une sorte de communion, de conscience commune, les humains du monde entier ont ce virus. Je pense que maintenant on vivra avec des virus tout le temps. C’est un vrai bouleversement !

Mais le pire évènement chez nous, en France, est la décapitation d’un professeur, Samuel Paty, l’horreur absolue…

Quelle utopie, quel espoir pour demain ?

Une économie plus locale, plus rapprochée. Qu’on n’aille pas chercher un truc au bout du monde alors qu’on peut le fabriquer chez nous.

Annette Messager est représentée par la galerie Marian Goodman Paris/New York.