Dominique Rolin : Écrire sans fin (à Philippe Sollers)

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C’est une passion hors du commun que celle qui a uni la belge et belle Dominique Rolin (née en 13) au français Philippe Sollers (né en 36). Commencée en 1958, leur correspondance amoureuse allait ainsi durer cinquante années en dépit de la différence d’âge. Et elle ne fut pas qu’une correspondance. La page et le lit, comme aimait à dire les deux amants. Ils s’écrivirent chaque jour, ce qui n’empêchait pas les coups de téléphone journaliers, les visites, les repas dans des restaurants de Saint-Germain-des-Prés, les vacances régulières dans la même chambre vénitienne. Étant donné cette fréquence, quand travaillaient-ils donc ces deux auteurs ? Et bien ils écrivaient sans trêve et parfois comme des forcenés, échangeant leurs trouvailles, leurs textes, leurs avis et jugements. Leurs amours furent d’abord clandestines puis, en l’an 2000, Bernard Pivot dans son émission Bouillon de culture révéla au public leur intense liaison, y compris le fait que l’écrivaine appelait Jim son partenaire.

Après avoir publié en 2018 un premier volume des lettres de Dominique Rolin allant de 1958 à 1980, c’est encore Jean-Luc Outers qui en édite aujourd’hui la suite, soit de 1981 à 2008 dans la collection blanche de la NRF, alors que son ami De Haes avait édité précédemment la partie Sollers de ce courrier flamboyant. Outers a très librement fait le choix de 247 lettres parmi les 851 qui furent écrites et envoyées par Dominique Rolin, sachant que celles qui couvrent les années 83 à 87 ont été égarées. Les amoureux de l’amour les trouveront sûrement fort belles, d’autres sans doute moins, car elles sont forcément vouées à la redondance. Celles de Rolin dont nous parlons ici sont toutes pleines de chatteries et de trouvailles verbales. Elles disent une passion qui ne faiblit pas et s’efforcent même de la renouveler.

Pour Dominique, le procédé de base est de confier fidèlement à son correspondant les moments de sa journée : repas, rencontres en rue (le quartier est fréquenté par quelques intellectuels « de marque »), courses faites, pages écrites, humeurs, réactions au temps qu’il fait, sommeils. Petit fait amusant : Rolin suit à la télé diverses épreuves sportives — de tennis qui est le sport de Philippe, de cyclisme à quoi l’épistolière avoue ne rien connaître mais dont les champions l’exaltent.

Mais c’est l’échange proprement littéraire qui constitue la colonne vertébrale du courrier Rolin-Sollers. Comme le note judicieusement Outers dans son Avant-Propos, « on assiste donc à deux œuvres en train de se faire, deux œuvres que relie un canal souterrain, au point qu’on n’a aucune peine à les imaginer composées à deux (ou quatre) mains. » (p. 10) À quoi nous ajouterons une réserve et qui n’est pas mince, à savoir que la partie n’est pas tout à fait équilibrée et que le partenaire mâle est d’une force et d’un talent supérieurs à l’écrivaine. Ce dont convient Dominique Rolin plus souvent qu’à son tour et ce jusqu’à juger les femmes plus mal dotées que les hommes en matière d’écriture, Marguerite Yourcenar faisant exception. Et Rolin va donc célébrant la supériorité de son Sollers, dont elle fait un roi, un prince et qu’elle va jusqu’à le proposer pour le Prix Nobel. C’est qu’elle l’inscrit à la suite des plus grands, soit la série fermée qui comprend Kafka, Dostoïevski, Joyce, Faulkner, Céline.

Sollers est-il désormais le géant que voudrait Rolin ? Il a certes inlassablement écrit des romans et des essais, ceux-ci consacrés à des artistes et surtout à des peintres (Cézanne, Picasso,  Bacon) ; il a également dirigé deux revues brillantes, Tel quel et L’Infini ; il est la figure littéraire tenue pour la plus représentative de sa génération. Est-ce suffisant pour en faire un auteur du tout grand format ainsi qu’un écrivain somme toute universel ? Nous sommes quelques-uns à avoir des doutes à son sujet, quittes à le lire néanmoins avec plaisir et intérêt. Mais il est vrai que, dans son rôle d’amoureuse, Rolin passe forcément par les superlatifs et les louanges.

Cela étant, il est permis de la lire dans ses lettres pour elle-même et rien que pour elle-même. Il y a en continu chez elle une alacrité réjouissante, toute de vivacité et d’invention. Cette dame des lettres — qui a si bien vieilli — sait ce qu’il en est du travail du style toujours recommencé. Elle a cultivé un don de plume tout au long d’une carrière, avec la conviction ferme que, par-delà les relations, la famille, les collègues, l’écriture fut, avec l’amour, son élément premier.

Dominique Rolin, Lettres à Philippe Sollers 1981-2008, édition établie et présentée par Jean-Luc Outers, annotée par Frans De Haes, Gallimard, décembre 2020, 432 p., 24 € — Lire un extrait

Image de une © site de Philippe Sollers