Il y a dans le roman de Franz Bartelt, Ah, les braves gens ! (Points), un goût savoureux de revenez-y qui ravira les amoureux du verbe imagé et les tenants du polar à l’ancienne comme les partisans d’un humour transgressif plus moderne. Ah les braves gens ! est une galéjade littéraire qui sent le houblon et la rosée matinale sur une campagne improbable, un récit rural décalé qui emprunte les chemins poétiques d’une langue fleurie pour un voyage dans l’absurde.
Ah les braves gens ! commence par une mort qui n’a en apparence rien à voir avec la suite, celle de l’oncle Georges ; un décès qui en appelle un autre, celui du père de Julius Dump, le narrateur de cette drôle d’histoire. Écrivain putatif, rentier hédoniste, Julius part à l’aventure après avoir fouillé dans les affaires du défunt tonton et par conséquent dans le passé de son papa tout aussi disparu. C’est muni d’une carte routière énigmatique que Julius se rend à Puffigny, bourg réputé (du moins pour ceux qui y résident et quelques villages limitrophes) pour sa douceur de vivre et le caractère bien trempé (dans l’alcool surtout) de ses autochtones. En quête des secrets du père, Julius va découvrir un microcosme qu’il était à mille lieux d’imaginer en arrivant dans la bourgade au volant de sa Cadillac jaune citron. Et se voir plongé dans une (en)quête qui tient à la fois de Da Vinci Code revisité par les Deschiens ou de Fantasia chez les ploucs en terres normandes.
Truculent et noir, poétique et désabusé, Ah les braves gens ! déroule sa galerie de personnages sortis de l’imagination de Franz Bartelt ou des pages de l’Almanach Vermot. Si l’on devait se représenter mentalement les protagonistes et les lieux, on irait lorgner du côté de Dubout (pour la sensualité grivoise), chez Yan Lindingre et Manu Larcenet pour figurer les habitués du bistrot de la Gare et au Groland pour le lyrisme de l’ethnonymie environnante. Voire chez Franquin avec la personne du maire de Puffigny en alter-ego de l’édile de Champignac-en-Cambrousse dans les aventures de Spirou et Fantasio.
Avec ce verbe fleuri qui convoque tour à tour Audiard, le chanteur Renaud, Simonin, Desproges, ou les Brèves de comptoir de Jean-Marie Gourio, Franz Bartelt embarque le lecteur dans un récit noir qui fait de Puffigny le théâtre d’une enquête plus ou moins policière, souvent prétexte à la gaudriole littéraire quand il s’agit d’inventer des dialogues épiques, de rendre compte des investigations des gendarmes ou de faire parler Polnabébé, l’idiot du village amoureux de sa mobylette.
En poursuivant sur le chemin osé des références possibles, le Puffigny de Bartelt n’a rien à envier au Cérillac de Pierre Desproges où les femmes tombaient comme à Gravelotte, permettant à l’auteur de brocarder la bêtise contemporaine. Franz Bartelt, lui, avec sa gouaille inventive trace une autre voie et met en scène dans Ah les braves gens ! la possibilité d’une insouciance, la critique par l’absurde d’une époque prisonnière des réseaux (sociaux entre autres), de la mondialisation et des apparences. A Puffigny, on cultive le mensonge, le secret, la lenteur et la douceur de vivre en marge du reste du monde. Ces « braves gens » ont quelques raisons de résister et d’en remontrer aux critiques et aux cyniques.
Franz Bartelt, Ah les braves gens !, éditions Points, septembre 2020, 312 p., 7 € 50 — Lire un extrait.