Lumière, fauteuils rouges et messages : une semaine à la guerre (Vis ma vie 9)

© Sam Mendès 1917 (détail affiche du film)

Lundi : La blague

Sur les terrasses des cafés ou debout au comptoir, personne ne rigole. On a peur de tomber malade, peur de la guerre ou de faire une gaffe. On ne parle pas de grand-chose. Et d’habitude, les cérémonies on s’en fout. Les Victoires de la Musique, les Victoires de la Musique classique, les Molières et les César on s’en fout sauf quand ces cérémonies nous rappellent ce que l’on connaît par cœur : les bagarres, les mauvaises surprises, la petite dernière qui quitte la table en plein milieu du repas de famille.

Adèle Haenel (capture d’écran Canal plus)

Et si les César intéressent tout le monde cette année, c’est parce que la soirée était scandaleuse, dégueulasse. C’était la « honte » et une collection de mauvaises blagues : discours engagés entre deux éclats de rire forcés, vannes pas drôles, grimaces, répétitions gênantes, gros plan sur les gens du public qui ne rient pas, ou qui sourient non-stop comme sur une photo de profil LinkedIn. Et comme souvent la guerre se passe sur Internet : à la fin du repas pleuvent les tweets et il s’agit de vite choisir son camp. Plus aucune blagues, finie l’ironie, comme cela aurait dû se passer dès le départ finalement.

Mardi : Cinéma

C’est toujours le même problème qu’on se traîne depuis des lustres : comment faire passer son message, comment raconter son idée ? Le message se porte, il se cache, il est déterminant et il va changer le cours des choses. C’est sûrement à lui que Sam Mendès rend hommage avec 1917, les pieds dans la boue des tranchées, la caméra sur l’épaule. Le film raconte l’histoire la plus vieille du monde. Un jeune soldat anglais de la Première Guerre mondiale, Blake (Dean-Charles Chapman) est choisi pour faire passer un message derrière les lignes ennemies. Il choisit à son tour son partenaire, Schofield (George Mackay) et se lance dans la grande traversée, qui, comme dans un jeu vidéo, alterne avec rythme adjuvants et d’opposants. Si le film est au service du message parce que dans l’histoire, il éviterait un massacre, il l’est surtout pour lui rendre hommage : le message est précieux. Et c’est beau, dans des cinémas géants comme des aéroports, avec des pubs en 3D des affiches qui bougent, des caisses de lunettes 3D, des seaux de pop-corn et des seaux de soda. C’est beau de voir toute cette technologie, toute cette technique, tout cet argent et les deux acteurs passer par tous les cercles de l’enfer pour délivrer le message.

Mercredi : Nouvelle vie

Parce que comme n’importe qui, les stars et anciennes stars de la télé-réalité grandissent. Les émissions s’adoucissent parce que les candidats prennent de l’âge, ils s’assagissent, ils fondent une famille. Le message change lui aussi : j’aime ma femme et je me tatoue le prénom de mon fils, ma fille a changé ma vie etc. Si des émissions comme Les Marseillais n’hésitent pas à mélanger la trame habituelle à la progéniture des stars du programmes, d’autres se spécialisent dans cette nouvelle génération d’influenceurs. C’est Mamans et célèbres du lundi au vendredi à 17h05 sur TFX, une série documentaire affreusement intime sur la vie de ces anciennes « anges », « marseillaises » ou « cœur brisé ». Les épisodes font défiler sans sourciller la fausse couche de Julia, les rendez-vous à l’hôpital de Liam et de sa fille Joy, l’accouchement de Martika, les douleurs d’allaitement de Cindy. Et entre deux séquences les publicités pour supermarchés, pots communs et listes de naissance. Et bien sûr pour sites de rencontres.

Jeudi : Le même bruit

Dans les rues des camionnettes en double file. Ça klaxonne pas mal ça fait des bouchons. Les petits camions blancs ramassent les trottinettes échouées ici et là, d’autres collent les immenses affiches électorales sur d’autres affiches électorales. Il fait froid. On ne se serre plus la main, on dévalise les pharmacies et on écoute la radio. Comme dans un film de fin du monde ou dans un reportage de chaîne d’info en continu. Le soleil arrive vers midi, il ne réchauffe personne encore. Il fait un tour rapide dans le ciel puis il disparait tous les jours.

Vendredi : Dès qu’on attend
quelque chose on reçoit un message

On le sait, la mode change souvent d’avis, elle fait et défait, inlassablement la même toile. Dans les bars on remarque une nouvelle tendance, ici. Après les petits bistrots aux lumières tamisées et aux murs vin rouge, les murs sales, les fils qui pendent, les ampoules grillées et les bières artisanales. Aucune « table » ne ressemble à celle d’à côté et partout sur les murs des messages imprimés en jaune, des post-it géants pour être sûr d’atteindre la cible. Au comptoir, en attendant de pouvoir commander quelque chose à boire, tout le monde est prévenu : « Ne laissez pas une personne en détresse – adressez-vous au barman » ou « Ici les propos racistes ne sont pas acceptés ». Comme s’il allait y changer quelque chose, le barman, ou comme si on avait envie de laisser crever les gens là, devant nous. Ou comme si les petits méchants allaient se fatiguer à traîner leurs chaussures cirées dans une usine désaffectée. Un vendredi soir.