Il fut poète et chirurgien. Soit ouvrir la langue et les corps, pour les sauver.
Sauver les MOTS :
« Lire et écrire : accueillir, aller avec, creuser, respirer, jaillir. »
Sauver les RÊVES :
« taillés dans des roches tendres
avec des coulées de basaltes
pour cerner l’incertitude. »
Sauver le SOLEIL :
« Chaque matin d’un bond
le soleil prend pied dans mon visage.
Je m’empare de cette brûlure comme d’un gouvernail. »
Sauver le DÉSERT :
« qui n’a pas rencontré une fleur
dans le désert
l u mi è r e t o m b é e d u t e m p s
e x c l a m a t i o n d a n s l a c o n t i n u i t é
du vide
cette nudité impérieuse
tentée par le jardin
celui-là ne saura peut-être jamais
tout à fait ce que c’est que surgir
comme un visage ébloui dans le non-visage
et disparaître. »
Sauver le PRISONNIER :
« Je tiens ma vie
un morceau de pain
très fort les cent grammes
du prisonnier de guerre
et souvent j’ai si faim
qu’à peine il en reste
et les choses se colorent
de peurs merveilleuses – »
NOUS sauver, nous qui vivons
« dans un monde de fusées
de cités à l’horizon emmuré
aux paupières de béton
grouillement qui réduit l’étendue
à un essoufflement
à une obsession de besoins
une civilisation qui pour fuir son propre visage
prépare des voyages interstellaires »
Loránd Gáspár, né le 28 Février 1925 en Transylvanie, est mort à Paris le 9 octobre 2019. La lumière parcoure son œuvre : « Entre le rocher de Patmos et la pierre de Jérusalem, il y a un dénominateur commun : la lumière ».
Les citations précédentes sont extraites d’Approche de la parole, de Sol absolu, du Quatrième état de la matière et d’Égée, suivi de Judée (Gallimard).
Loránd Gáspár fut donc poète et chirurgien (à Jérusalem-Est, Bethléem, Beyrouth, Tunis), mais aussi historien (Palestine, année zéro ; Histoire de la Palestine, chez Maspero), traducteur (D.H. Lawrence, Rainer Maria Rilke, Georges Séféris…), photographe. Plusieurs recueils de ses poèmes ont été repris dans la collection Poésie / Gallimard : Sol absolu ; Patmos ; Égée – Judée. La Correspondance avec son ami Georges Perros, qui l’appelait « Lorand d’Arabie », a été publiée en 2007 (La Part commune). Son dernier recueil, Derrière le dos de Dieu (Gallimard), a paru en 2010.