Lundi : tout seul
Cette année encore, mais plus que d’habitude on a voulu couper : le portable, les mails, les photos, le travail, les amis. On a voulu disparaitre des radars, revenir bronzé et sec comme un pruneau, les bras plein de cadeaux faits à la main par quelqu’un là-bas. On a voulu du calme, laisser la montre à la maison, on a voulu dire « mais quel jour on est ? » C’était le début de l’été, les résolutions de l’été, après double ration de foot. On avait les pieds dans le sable et la tête dans le frigo. En cherchant l’horizon, on voyait les vieux et les enfants repêcher des trottinettes. On a voulu remonter le temps tout rembobiner. On a cherché un rythme nouveau, on a voulu tout lâcher moitié healty éco-friendly moitié n’importe quoi. C’était l’été 2019 : légumes anciens et drogues dures, grands dîners et petites flasques. Le soleil le sel les étoiles, le caramel.

Mardi : la fille en plus
L’été le soir tout le monde était dehors. On traînait sur les terrasses on sortait, tout le monde sentait le parfum et la plage. On cherchait l’air frais on avait sorti les habits des vacances mais : il tombait du feu depuis des jours, tous les copains étaient partis, on avait trop soif et trop rien à raconter. On était collés au sol. On s’ennuyait entre gens qui restent.

Dans un petit bar jazz, une chanteuse reprenait les tubes des années 80 avec son mec au saxo. Tournées de cocktails, cigarettes cigares et discussions de l’été. Les copains les copines et puis la catastrophe. Un chéri dont on parlait tellement fort qu’il est apparu là, sur le trottoir d’en face, au bras d’une poupée dont on n’a vu que le brushing impeccable et les talons saillants. Tout d’un coup la ville s’est éteinte. C’était la panne sèche, le grand vide froid. Une table a fini par terre, la fille criait et on n’entendait plus du tout le concert. Bagarre. Le mec a disparu en courant, et elle s’est mise à pleurer dans son verre piscine. C’est devenu le verre en plus, le mauvais cocktail. C’était pas de chance et pour personne. Puis le duo a repris, et tout le monde chantait en cœur les mecs les filles et les rêves qui tombent dans l’eau salée de l’été.
Mercredi : comme en Italie
Vacances d’un jour, d’une demie journée, vacances d’une heure. On a sauté dans la voiture on a fermé les yeux allez ouvrez : on était déjà partis. On s’est retrouvé à la plage, dans les grandes villes ou dans les vignes d’Italie. On a respiré à fond, on sortait de la piscine on sentait même pas le chlore. On séchait tranquille en cherchant les biches et les verts luisants de la campagne. Les chats cherchaient les oiseaux. Le coucher de soleil couleur Spritz. Les vignes coiffées au peigne fin. On entendait bien le silence et on ressentait le froid des petites forets. On était pieds nus et on regardait la fumée des cigarettes faire des vagues sur le ciel noir. Les chênes à truffes avaient bien grandi, les roses elles, avaient déjà fini. Le petit vent sucré faisait défiler les jours de la semaine et les fêtes de village. C’était la toscane, c’était vacances. Les tomates les grands verres à vin c’était les desserts au citron et les amoureux dans les rues pavées : et jusqu’à l’année prochaine, c’était l’Italie.

Jeudi : la nuit infinie
Les voisins rentraient après avoir regardé le coucher de soleil. Ils ont dit « c’est beau » et on les a entendus allumer le barbecue.

L’été assis à la fenêtre on s’imagine sur un bateau, on fait traîner le bras dans le vide, on cherche l’eau froide dans l’air chaud. On est sorti du sable plein les poches, on a tout raconté, les histoires de l’été qu’on raconte tous les étés, on a tout redit. Et on a encore tous rigolés. Bar de plage restaurant terrasse l’été on voit la mer partout, imprimée dévalée sur le menu. Tous les gens qui disent qu’ils s’en vont reprennent un verre. Tout le monde a de l’argent. Les trois patrons sont chauves bronzés, ils ont des baskets fluo et des chemises à fleurs. Ils placent les clients ils tapent dans le dos ils disent « hein que c’est bon ! ». Leurs trois femmes font le service : talons compensés, balayage flamboyant, piercings et bronzage cabine. Jeans moulants, décolletés, maquillage et griffes plastiques, elles apportent les pizzas et les bières elles disent.
Vendredi : encore
« Putain ce que je travaille ! » en fumant des cigarettes avec les clients. Tout le monde est là pour raconter l’été, tout le monde aussi écoute. On a le temps de se rappeler de tout au-dessus des pichets de rosé. Quand le pizzaiolo rejoint la terrasse tout le monde l’applaudit. Il est rouge et rincé, maigre, pas bronzé, chauve aussi. Les trois serveuses connaissent le journal par cœur elles racontent l’anniversaire de la lune, la canicule les feux de forêts, les films en 4k le homard et les programmes télé de l’été. Elles lisent les livres à la plage et les magazines au comptoir. Elles ont plein de bijoux et les trois maris sont vraiment fiers. Ils sont collés aux tabourets ils disent plus rien là ils regardent et leurs yeux deviennent très beaux. L’été tous les moments sont des tableaux, on se met à parler italien ou espagnol, quelques mots de corse, et des chansons pour allonger la fin des jours brefs. La petite équipe de la plage, celles des terrasses, les livres de la plage et les nuits infinies. Les siestes l’après-midi, les fruits gelés les cigares, chapeaux de paille, nouvelles chaussures coups de soleil et tout ce qu’on s’est raconté allez, souvenez-vous de l’été.