The Psychotic Monks : Private Meaning First

The Psychotic Monks © Jean-Philippe Cazier

Après un premier album surprenant et plus que convaincant, les Psychotic Monks proposent aujourd’hui Private Meaning First, un second opus tout aussi surprenant et très réussi. Les quatre musiciens sont d’abord préoccupés de leur art et s’y engagent ici avec plus de radicalité encore. Tout y est plus resserré, incisif, tranché, en quelque sorte brut, pour un album qui affirme sans concession sa singularité et ses partis pris.

Chaque morceau de Private Meaning First est composé comme un collage étrange, intrigant, dont l’horizon est sa propre déstructuration. Si l’album, comme le précédent, brasse le rock psychédélique et garage, le punk, le Krautrock, la pop noise, ce brassage ne se traduit pas par des morceaux dont chacun correspondrait à un genre mais il est inclus dans chaque titre qui peut intégrer tel genre et tel autre, passer de l’un à l’autre, les mixer ensemble. Il ne s’agit pas d’un éclectisme brouillon mais d’une volonté de construire de nouvelles structures musicales caractérisées par la mobilité, le choc, les ruptures, les transitions qui sont des transformations. Ce qui, de fait, est frappant à l’écoute de la musique des Psychotic Monks, est la volonté de s’extraire des formes et normes de la composition pour inventer des plages musicales, sonores, dont la durée n’est pas que quantifiable mais correspond à des sauts qualitatifs : le temps n’y est pas une ligne homogène plus ou moins longue, il est un parcours complexe incluant des changements, des différences, des disjonctions, une évolution hétérogène.

La matière sonore que travaillent les Psychotic Monks est prise dans un temps qui est réellement durée : un temps qui s’étire et un temps qui est changement, comme un long voyage – une errance – à travers des espaces-temps sans cesse transformés. Le choix est fait de considérer chaque morceau comme un ensemble de possibilités dont chacune, à des degrés divers, est développée pour elle-même, devenant autonome par rapport à la structure qui l’incluait et transformant cette structure. Tel riff, telle rythmique, telle possibilité d’accords sont extraits de l’arrangement qui les contenait et se mettent à valoir pour eux-mêmes, déplaçant la direction première du morceau, affectant sa pulsation initiale, son atmosphère, le faisant passer d’un genre à un autre, modifiant les plans sonores et les intensités. Un titre comme Closure, qui synthétise de façon particulièrement enthousiasmante les directions de l’album, passe du punk et noise à un rock industriel et Kraut, le chant d’abord mélodique devenant hypnotique, robotique, halluciné. Si ce parti pris était déjà fortement présent dans Silence Slowly and Madly Shines, il est ici répété de manière plus aiguë, plus « sévère » et intense.

The Psychotic Monks © Jean-Philippe Cazier

Une autre possibilité qui habite la musique, et qui est consciemment incluse dans ce que font les Psychotic Monks, est le bruit, comme, par exemple, le son le plus matériel, extrait de l’électricité des guitares ou des sonorités particulières de synthétiseurs anciens, d’une batterie arythmique qui devient percussion brute. Chaque morceau de Private Meaning First est tendu par une ligne de bruit plus ou moins évidente, plus ou moins actualisée mais présente, prête à faire franchir la frontière entre la musique et un vortex où tout s’emballe, se détruit, parfois renaît mais autre. Le bruit, ici, est à la fois un élément de la composition et ce qui détruit la composition, marquant la limite vers laquelle tend la composition et dont elle s’extrait. Ainsi, le rock libère ce qui l’habite depuis toujours, ce qui, sans doute, habite la musique depuis toujours comme sa propre limite : le bruit et le chaos. Dans la musique des Psychotic Monks, le bruit et le chaos ne sont pas que du bruit et du chaos au sens ordinaire, ils sont ce que la musique intègre comme ce qui la traverse et comme ce qui en permet la composition – une composition qui inclut sa décomposition, son désordre, son ordre mobile, variable, selon la logique d’une durée réelle, à la fois répétition d’un temps qui s’étire et d’une évolution productrice de différences, de ruptures, d’une hétérogénéité.

Cette radicalité avec laquelle les Psychotic Monks se concentrent sur ces rapports entre musique, bruit, chaos et durée les rend très singuliers au sein d’une industrie musicale plus intéressée par les chiffres de vente que par l’art – à mille lieux, donc, des Michel Sardou de Corbeil-Essonnes ou de telle ou telle queen of poop. C’est cette radicalité et cette concentration – en plus, bien entendu, d’un talent musical évident – qui en font un des groupes actuels parmi les plus intenses en concert, ne se contentant pas d’égrener une playlist mais produisant des performances immersives et puissantes.

The Psychotic Monks – Private Meaning First

Les textes relèvent d’une poétique étrange, traversée par le chaos qui anime la musique. Proches du romantisme anglais, sombre, les lyrics sont volontiers elliptiques, parfois délibérément répétitifs, plus évocateurs que signifiants. Des figures y sont comme des fantômes, définies selon des images récurrentes – la peau, la pâleur, la disparition… –, évoluant à l’intérieur de paysages mentaux obscurs et déchirés. L’absence y est omniprésente et l’appel ou l’adresse y sont l’écho du vide autant que la préfiguration ou la croyance en un futur entrevu selon des images nocturnes. Les textes dessinent les formes brumeuses d’une sorte de postapocalypse interne, un monde peuplé d’ombres, d’images frappantes mais obscures, au voisinage de la poésie de Willian Blake, monde qui serait un flux mental se reflétant dans les bouches hurlantes et muettes de Francis Bacon.

Avec Private Meaning First, The Psychotic Monks produit une œuvre puissante, parfaitement enthousiasmante. Il montre, à nouveau, qu’il est aujourd’hui un des groupes les plus intrigants et novateurs, les plus engagés – on dirait volontiers : les plus honnêtes – dans ce que le rock peut produire en tant que recherche et création.

The Psychotic Monks, Private Meaning First, mars 2019, Vicious Circle Records.
Actuellement en tournée en France et à l’étranger, le groupe est certainement à ne pas rater sur scène.