Cela commence par une bâche qui figure une énorme vague accompagnant l’Adagietto de la Symphonie n°5 de Mahler. Une comédienne et trois comédiens (Estelle Delcambre, Erik Gerken, Karim Fatihi et Clément Goupille) assis en chaque coin de la scène tiennent les cordes qui maîtrisent la vague et la font onduler, au dessus d’eux, derrière, tout contre. Cela se termine par des corps épuisés, qui ont entre temps dansé et sauté, synchronisés, en rythme, avec le sourire et faisant sourire le spectateur, sur une musique électronique jusqu’à n’en plus pouvoir ; se sont contorsionné avec naturel, en suspension contre un mur, prenant progressivement la position debout comme on s’éveille au monde ; ont tenté de racler la terre tombée sur scène et de la rassembler ; y ont plongé ; se sont touchés, chatouillés, regardés ; se sont poursuivis à pieds joints, le visage de plus en plus brillant de sueur. Un comédien a décliné en se déshabillant une généalogie biblique, mouillé par l’eau qu’un autre a versée sur lui directement d’un seau, doucement. Les autres ont récité en français, en arabe, en anglais et en néerlandais des textes de Marguerite Duras, Gertrude Stein ou Jacques Brel, tandis que derrière des ombres ont passé, qu’une valise pleine de pierres s’est écroulée d’entre les mains de la femme qui a tenté de les ramasser dans une entreprise lente et vaine. On a joué la scène des fossoyeurs d’Hamlet. On s’est cherché dans le théâtre, criant un prénom que jamais personne n’a pris pour le sien.

Ce que proposent Nathalie Béasse et ses quatre comédiens ici, ce sont des tableaux qui s’assemblent, un à un ou en parallèle, où les corps sont mis en jeu avec rudesse. Nul récit et nul besoin d’en trouver. Ce serait un faux sens que de vouloir penser qu’on raconte une histoire. La liberté offerte au spectateur est grande, tant la puissance de suggestion des images est importante. En cela, le spectacle oscille avec bonheur entre théâtre, poésie et arts plastiques. Il ne s’agit d’une « performance », tant sont maîtrisés chaque pas et chaque mouvement, mais bien d’une manière singulière de faire dialoguer le langage verbal, rare et valant parfois essentiellement par son signifiant — notamment si l’on ne sait entendre l’arabe ou le néerlandais —, et le langage corporel, dans une manière inédite de proposer un signifié multiple.
Le titre du spectacle ne s’éclaire, de même, qu’à la faveur de ce qu’on veut y mettre : Le Bruit des arbres qui tombent, est-ce l’appel d’un son au milieu d’une forêt lointaine où un arbre tombe sous le coup d’un phénomène naturel ? Est-ce l’arbre que la main de l’homme abat ? Est-ce une invitation à se saisir des bruits de la nature, à la manière des poèmes indiens que parcourt aussi la parole des comédiens ? Toujours est-il que nous sentons dans ce spectacle une odeur rarement sentie dans une salle de théâtre, celle de la terre fraîche dont on barbouille le plateau et dont les comédiens s’enduisent ou qu’ils tentent de retenir dans leurs vêtements, comme on veut sentir le monde en soi. Et celui qui tombe également, c’est un homme, que tente de tenir debout une femme, difficilement. Être au présent ancré à la terre, planète et matière, voilà l’enjeu peut-être de ces tableaux, avant d’être contraint d’y être éternellement enfoui.

En tournée jusqu’en juin 2019 (Evreux, Strasbourg, Aix-en-Provence, Saint-Etienne, La-Chaux-de-Fond, Clermont-Ferrand, Paris). Retrouvez toutes les dates sur le site de la Compagnie Nathalie Béasse.

