L’Écologie en bas de chez moi : récit durable ?

« Faites un geste pour l’environnement », scie de la décennie et arme lourde de publicitaires et d’entreprises, qui, sans conviction profonde, usent de l’écologie comme argumentaire marketing et opportunisme. Soulignons-le d’entrée, L’Écologie en bas de chez moi n’est pas imprimé sur du papier recyclé.

Le récit prend ses distances avec la mode du « durable », avec les diktats de l’écocitoyenneté et le contrepied de cet intégrisme du vert. Dans un texte qui est le prolongement romanesque d’un Rebond paru dans Libération le 4 juin 2009 (le texte intégral en est donné en fin de volume, rétablissant ce que Libé avait caviardé *) et qui peut être lu en diptyque avec O.N.G ! (2003) – récit de la lutte à mort entre deux organisations humanitaires rivales partageant le même immeuble, couronné par le Grand Prix de l’Humour Noir –, Iegor Gran joue du décalage et de la distanciation.

C’est la marque de fabrique de l’écrivain, comme dans Jeanne d’Arc fait tic-tac (2005) – jeu sur les clichés de l’Amérique vue d’Europe –, Spécimen mâle (2001) où les femmes disparaissent de la surface de la terre : Faut-il réécrire l’Ancien Testament en gommant Ève ? Reprendre le dictionnaire en mettant tous les mots au masculin ? Ou encore Ipso Facto (1998) : il faut savoir ranger ses affaires comme l’apprend à ses dépens un homme qui égare son diplôme du bac et comprend ainsi qu’il n’est qu’un bout de papier tamponné, perdant sa femme, son boulot, sa crédibilité.

Iegor Gran aime nager à contre-courant, pousser l’absurde à son acmé pour caricaturer nos idéologies dominantes, véritables machines à décerveler, il se plait à attaquer l’inattaquable pour en révéler, avec dérision, ironie et second degré, les clichés insupportables et les présupposés idéologiques : faire du vert le parangon du bien influe sur notre quotidien, certes, mais aussi sur l’économie de marché, la politique et la culture. Le récit déploie nos engagements absurdes parce qu’ils ne sont pas réfléchis, mesurés, nuancés et les notes en bas de page, proprement jouissives, mettent le doigt sur nos contradictions. Il y a danger quand le vert n’est plus un engagement mais une mode, et pire, un business et que l’argumentaire nous rend « myopes ». Iegor Gran ne souhaite pas vous interdire de trier vos déchets ou vous convaincre de ne plus manger bio, simplement de ne plus le faire comme un mouton, parce qu’il le faut, que c’est bien, qu’il est quasi obligatoire désormais de « faire un geste pour l’environnement », nouvelle table de la loi de notre civilisation en manque de repères.

L’Écologie en bas de chez moi tient de l’autofiction – tout commence avec Iegor Gran découvrant une affichette invitant tout son immeuble à regarder Home de Yann Arthus-Bertrand sur France 2 –, de l’essai à charge, du récit. Il mêle les genres pour mieux se défaire des codes que l’on nous impose, au nom d’une idéologie du politiquement et écologiquement correct. L’écologie, utilisée en tant que propagande, instrumentalisée, serait-elle une forme de fascisme ? Elle est, en tout état de cause et paradoxalement, une atteinte au bon goût comme le montre le morceau de bravoure des ampoules fluocompactes :

« Avec sa silhouette de tube digestif, sa base bunker en plastique bas de gamme, sa lumière pisseuse flamboyante, comme chargée d’antibiotiques, l’ampoule fluocompacte est l’objet du quotidien le plus anti-esthétique que je connaisse, symbolisant tout le mal que l’humanité est capable de s’infliger à elle-même avec de bonnes intentions.
Que Dieu vous préserve d’en casser une ! Il faut savoir que ces ampoules-là contiennent du mercure (que l’on a interdit depuis une dizaine d’années dans les thermomètres – Cherchez l’erreur). Le très vigilant INSPQ (Institut national de santé public du Québec) donne la procédure d’urgence :
“1. Quitter et aérer la pièce pendant 15 minutes. La première chose à faire est d’ouvrir une fenêtre et de quitter la pièce assez longtemps pour que la concentration de mercure dans l’air diminue.
2. Ramasser les débris, sans aspirateur ni balai. Un aspirateur ou un balai risquerait de répandre le mercure dans l’air. Pour nettoyer, il faut ramasser les gros morceaux à la main – idéalement avec des gants – et les placer dans un contenant hermétique. Ensuite, avec du ruban gommé, on récupère les petits morceaux et la poudre. On nettoie avec un essuie-tout humide et l’on jette tout ce qui a servi au nettoyage dans le contenant de débris.
3. Par la suite, on peut passer l’aspirateur quelques fois, fenêtres ouvertes.
4. Placer le contenant de débris à l’extérieur.
5. Aérer la pièce plusieurs heures après le nettoyage.”À côté d’une ampoule fluocompacte qui se brise, l’accident de Three Mile Island est une promenade. »

Provocateur, Iegor Gran tire à vue : sur Nicolas Hulot et ses « appels à la vocation dignes de saint Paul : « Je ne suis pas né écologique, je le suis devenu », et ses poses sacrificielles : « Jusqu’où suis-je prêt à aller dans le choix, dans le renoncement » », sur Home, film « onctueux comme un pet », dégoulinant de bons sentiments et de guimauve écolo, réalisé par Yann Arthus-Bertrand qui fut durant « dix ans photographe-reporter du Paris-Dakar » – « Étonnante conversion. Les voies du gazole sont impénétrables » –, sur tous ceux qui comme lui – Besson, Pinault – se vautrent dans un « opportunisme oppressant », « cousu de fil blanc », « le marketing des gros sabots », « la mégalomanie paternaliste ». Sur les grandes entreprises qui vendent du « bio » et du durable non par conviction mais parce que cela rapporte.

Sus aux dogmes qui sont des modes : le « pitre » Iegor Gran, réagissant avec son « instinct », voit dans l’intégrisme écologique en bas de chez lui, dans le greenwashing, « une atteinte à la liberté, à la culture, à l’intelligence ». Comme l’avoue l’auteur, « j’écris mieux quand je me sens harcelé ». Il n’est qu’à lire L’Écologie en bas de chez moi pour en être convaincu.

C’est méchant, corrosif, drôle et intelligent. D’ailleurs les livres eux-mêmes ne sont-ils pas des objets écologiquement incorrects ? Il faut, pour fabriquer des livres, abattre des arbres, « il faut les imprimer, les transporter aux quatre coins de la France, renvoyer les invendus, passer au pilon ».
« Les livres compromettent la survie des générations futures, et c’est pour ça que je les aime ».

En somme, L’Écologie en bas de chez moi lutte, par l’ironie, arme massive de destruction, contre toute « infantilisation de la populace, principe de précaution et couches-culottes ». La littérature est le seul cheval de bataille de Iegor Gran, comme espace de liberté, de contre-pied, monde parallèle dans lequel il est permis et recommandé de penser, activité, on l’espère, durable.

Iegor Gran, L’Écologie en bas de chez moi (P.O.L, 2011), Folio, 176 p., 2012, 6 € 60 — Lire les premières pages

* Le chapitre 3 analyse les 200 commentaires sur le site de Libération suite à la publication de ce Rebond, pourtant bien lissé : l’incipit de l’article « Leni Riefenstahl en avait rêvé, Yann-Dieu l’a fait » a disparu. Les lecteurs et abonnés à des sites participatifs ou usagers des réseaux sociaux apprécieront l’ironie immense de cette mise en perspective.
L’anonymat permet tout : traiter l’auteur de la tribune de « blatte » ou d’un inénarrable « faussement sceptique »… Pour tout ce qu’Iegor Gran avait à dire, les 6000 signes étaient insuffisants, comme se voir offrir une chaussure en 37 quand on chausse du 43… Surtout, devenant récit, le coup de gueule se fait exercice littéraire.