On mesure depuis qu’il s’est exprimé, hier soir, à la conférence des évêques de France combien il s’agit pour Emmanuel Macron, dans cette heure de tempête inédite, de faire médiatiquement diversion pour faire disparaître de la scène et des écrans le conflit des cheminots. La stratégie de Macron consiste à faire écran par d’autres écrans : c’est pourquoi on ne nous verra pas ici commenter les propos qu’il a tenus hier soir sur l’église, sur la restauration du lien que la France doit entretenir à son endroit. Car on mesure sans peine combien, par l’éloge prononcé et sans fard du catholicisme, il s’agit d’un évident piège communicationnel dont le but est de passer sous silence la grève dans les réseaux sociaux, d’en tuer l’écho dans les journaux, d’occuper les esprits d’autres obsessions.
À l’heure de la destruction méthodique du service public, des grèves, du démantèlement de campements d’agriculteurs bio et des violences policières à Nanterre ou à Lille, on a un peu autre chose à faire que de discuter de la loi de la séparation de l’église et de l’État, et de la laïcité. Ce n’est pas la laïcité qui vaincra le chômage. Ce n’est pas la laïcité qui ajoutera des lits aux hôpitaux. Ce n’est pas la laïcité qui empêchera la privatisation du rail. Ce n’est pas la laïcité qui mettra de l’argent dans la caisse de grève. Ce n’est pas la laïcité qui assurera la continuité du service public, qui augmentera les caissières chez Carrefour, qui empêchera la suppression de 7000 postes dans le Secondaire. Mais c’est bien ce débat sur la laïcité, ses crispations, ses guerres de tranchée, et la provocation sciemment construite de Macron, qui fera écran à tous conflits qui doivent l’emporter.
Le but de Macron consiste ainsi à mettre – et, en cela, les gens ont parfaitement raison – vent debout tous les défenseurs de la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905. Le catholicisme restauré, chanté et loué devient chez Macron un outil discursif comme les autres, c’est-à-dire un outil de management qui allume un contre-feu médiatique pour faire oublier un incendie dont les flammes commencent à faire apercevoir leurs crêtes. On ne pourra que s’amuser de la savante hypocrisie déployée ce matin par L’Élysée qui, ravi de faire la Une par cette polémique, déclare « À l’Élysée, on s’étonne que ces propos étonnent », alors même que cette réflexion de la réflexion montre, par l’étonnement de l’étonnement, combien se dit un aveu, celui par lequel il fallait, précisément, étonner. Le but sciemment désiré et murmuré par Macron est de pouvoir capter le discours éditorialiste, à savoir celui qui donne le fameux tempo médiatique qui fait battre à l’unisson le cœur du pays, des cafés du commerce, c’est-à-dire de nos jours les discussions à la machine à café et à la photocopieuse.
Macron connaît les éditorialistes. En homme de l’hypercommunication sinon de la métacommunication même, il sait parfaitement combien la sphère médiatique est droguée à la laïcité, combien l’éditorialisme tient la laïcité comme le réservoir à parlures en tout genre, une clef médiatique et marketing rutilante et vigoureuse. Macron sait combien ces propos, parce qu’ils sont sciemment clivant, vont capter l’auditoire, créer une cascade de tweets où les uns seront outrés par son rapprochement avec Boutin, les autres confronteront sa persécution des migrants aux propos du pape enjoignant d’accueillir les migrants, et les derniers multiplieront les caricatures ranimant l’anticléricalisme.
Pourtant, il ne faut rien poster. Il ne faut pas parler de ses propos. Il ne faut pas détourner notre attention des panneaux d’affichage des trains, de la décision du président de Nanterre de faire intervenir les policiers pour menotter des étudiants. Il ne faut pas détourner nos yeux de ParcourSup, de la loi ORE qui va sacrifier des générations de bacheliers voués à errer sans formation digne. Il ne faut pas détourner nos regards des aiguillages vidés, des cheminots qui perdent des jours de salaire, des infirmières et aides-soignantes qui tiennent comme elles le peuvent par manque de moyens les hôpitaux. Il ne faut pas oublier les lycées surchargés du 93, les attaques du lycée Utrillo à Stains, les attaques répétées à Paul Eluard, l’effondrement des DHG. On ne veut pas de l’écran de Macron jeudi à 13 h et encore moins dimanche, deux interventions comme pour venir encadrer la grève, l’anticiper, la commenter, la court-circuiter, comme si se donnait ce qu’en management on nomme le Town Hall : ces réunions de bilan, de recadrage et de la définition des « axes de progrès » alors que tout, par le management, ne cesse de régresser et devenir proprement l’antiphrase de tout.
Car quand Macron parle de pédagogie, il n’est décidément à la vérité que dans le management et la communication : depuis hier, on le voit, il est bel et bien devenu le grand prêtre du management d’État. Coupez vos écrans, soyez dans la rue et n’ayez qu’une chose en tête : oublier Emmanuel Macron.