Edwy Plenel : « Il ne suffit pas de faire du bon journalisme pour faire un journal qui marche. Il faut cette magie supplémentaire d’un journal qui rencontre son époque »

Edwy Plenel © Jean-Philippe Cazier

Le 22 mars dernier s’est tenue une soirée « Coïncidences », organisée par Maurice Olender et François Vitrani, à la Maison de l’Amérique latine, autour d’Edwy Plenel et deux livres, La Presse, le pouvoir et l’argent de Jean Schœwbel (Seuil, « La Librairie du XXIe siècle ») et La Valeur de l’information (Don Quichotte). Le co-fondateur et directeur de Mediapart était accompagné de l’historien André Burguière, des journalistes Carine Fouteau et Claire Mayot, des éditeurs Stéphanie Chevrier et Maurice Olender. Au cœur de cette soirée, le refus de la marchandisation de l’information et un appel à l’« audace », aux « insolences » et aux « irrévérences », dans la lignée de Jean Schœwbel.

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Ce 22 mars se croisaient deux anniversaires : les 50 ans de mai 68, contexte de la première publication de La Presse, le pouvoir et l’argent de Jean Schœwbel et les 10 ans de Mediapart, autre forme de révolution, celle d’un journal qui a construit son indépendance, contre vents politiques et marées médiatiques, malgré la méfiance des débuts et le pari économique risqué — aucune publicité, pas de subventions publiques, et le choix revendiqué d’un journal payant sur Internet, alors (toujours ?) considéré comme l’espace du gratuit.

Edwy Plenel © Jean-Philippe Cazier

Longtemps marginalisé par ses propres confrères, Mediapart a fini par imposer un modèle non seulement économique mais aussi journalistique. André Burguière l’a rappelé : Mediapart a remis enquêtes et investigation au centre, contre un journalisme de l’opinion et de l’édito ; c’est aussi la face participative du site qui a été évoquée, par un Maurice Olender gourmand d’étymons et de jeux de dés. C’est une aventure, collective, qui revient, Edwy Plenel l’a souligné, à « rester ouvert à l’événement, à l’imprévu, à l’inattendu ». Au-delà d’une éthique journalistique et d’une poétique du support (un journal « sans papier »), Mediapart se veut au cœur de la cité et de ses débats, comme le figure son logo (un crieur), sous l’égide de ce sphinx qu’est l’événement (Edgar Morin) qui chaque jour nous pose des énigmes auxquelles papiers et enquêtes se doivent de répondre. La réalité n’est pas un « universel reportage » ou le récit de petits faits qu’il s’agirait seulement de rapporter, c’est sa dimension « impensable » qui doit être mise en avant.

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Ainsi la modernité du tout numérique rejoint-elle la grande tradition de la presse (une information hiérarchisée, des éditions), dans la dialectique du passé et du présent si chère à Walter Benjamin. Écrire un journal, c’est aussi donner voix aux oubliés de l’histoire, porter le legs et la flamme de promesses et combats inachevés. Ne pas corrompre la valeur de l’information, à l’heure des fake news et du poids financier de grands industriels et des GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple), ces géants du web qui, par leurs algorithmes et la place prépondérante des agrégateurs publicitaires faussent les échanges médiatiques.

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Il est ainsi un écosystème à penser, une vigilance et un esprit critique à conserver. Edwy Plenel a ainsi longuement évoqué le contre-pouvoir que doit demeurer la presse dans toute société démocratique, revenant sur les affaires qui ont jalonné l’histoire de Mediapart : Bettencourt, Cahuzac et le feuilleton du financement libyen de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy.

Cette soirée fut ironiquement « Coïncidences » jusqu’au bout : pendant qu’Edwy Plenel répondait aux questions du public de la Maison de l’Amérique latine, l’ex-Président de la République déversait sa haine de la presse en général et de Mediapart en particulier, sur le plateau du 20 heures de TF1.


Jean Schœwbel, La Presse, le pouvoir et l’argent, préface de Paul Ricoeur, Avant-Propos d’Edwy Plenel, Le Seuil, « La Librairie du XXIe siècle », mars 2018, 272 p., 22 €

Edwy Plenel, La Valeur de l’information. Suivi de Combat pour une presse libre, éd. Don Quichotte, mars 2018, 256 p., 18 €

Edwy Plenel © Jean-Philippe Cazier