Astérix et la Transitalique peut s’enorgueillir d’illustrer farpaitement le mot inflation : de 6000 exemplaires pour le tirage initial d’Astérix le Gaulois en 1961 à cinq millions de copies pour la trente-septième aventure, la série imaginée par René Goscinny et Albert Uderzo défie tous les superlatifs. Signé des repreneurs Jean-Yves Ferri et Didier Conrad, ce 37è Astérix est d’ores et déjà en route pour le succès qui lui était promis. Et vers le Vésuve, puisque après la Calédonie et les arcanes de la presse antique, la destinée de l’irréductible Gaulois est routière et emprunte les vias (mal) pavées (de bonnes intentions).
Passée la première déconvenue de ne pas retrouver dans la version papier les deux pages emblématiques des aventures d’Astérix – « Nous sommes en -50 avant Jésus-Christ et toute la Gaule est occupée… », on y reviendra – alors qu’elles existent dans la version numérique, la lecture d’Astérix et la Transitalique commence sous les meilleures auspices et en Italie sous les ors de la République romaine où le débat fait rage sur l’état des routes sous la responsabilité du sénateur Lactus Bifidus qui se voit reprocher de ne pas être très actif. Pour sa défense, et via (sans jeu de mot) un moyen que lui emprunteront tous les politiques à venir, il a alors l’idée (pour montrer la puissance de Rome et cacher son incurie personnelle) d’organiser une grande course de chars à travers le pays. Une initiative et une première du genre que Jules César en personne salue (mais verrait d’un très mauvais œil si elle venait à être remportée par un non-latin).
Autres tempora, autres mores
Pendant ce temps-là, en Gaule… Devisant et déambulant entre les stands des exposants de la Foire Itinérante de l’Artisanat Celte (la FIAC, donc), Astérix et Obélix sont à des lieues d’imaginer qu’ils vont devenir les héros d’une aventure qui démarre à cent calembours à l’heure. Il faut voir dans ce Transitalique de Jean-Yves Ferri et Didier Conrad bien plus qu’un cahier des charges bien respecté et une continuité dans la reprise, les auteurs peuvent se féliciter d’avoir su apposer leur patte et dépasser le seul statut de repreneurs. Pour preuve la galerie de personnages secondaires inventés pour la course aux noms aussi croquignolets que Betakaroten ou Zérogluten, Solilès ou Pataquès, un aubergiste plus Pavarotti que nature ou un pilote de char nommé Coronavirus au sourire plus figé qu’un smiley de consternation face à un tweet de Raquel Garrido annonçant qu’elle renonce à la politique pour la télévision.

Garum est, non legitur
Si l’on devait sacrifier à l’exercice facile de la comparaison, où se situerait La Transitalique sur l’échelle goscinnienne ? Avec son rythme soutenu, sa documentation, ses gags visuels et ses dialogues très bien écrits, ponctués de punchlines savoureuses tantôt appelées, tantôt bien senties (« tope là, tu seras l’aurige – et toi tu me co-aurigeras » ; « j’ignorais qu’on pouvait déplacer les bornes » ; « nous faisons partie de sa collection de cimbres »… ad lib), l’opus trouve naturellement sa place entre Le Tour de Gaule d’Astérix et Astérix en Hispanie ou Astérix chez Rahàzade. Mais sans aller jusqu’à tutoyer Astérix en Corse.

A ce sujet, et n’en déplaise aux éditeurs qui ont justifié l’absence de la carte de la Gaule dans ce Transitalique en arguant de la présence de celle de l’île de Beauté en 1973… notons en marge (très en marge) de l’univers de la BD, les commentaires outranciers des internautes commentateurs qui se sont émus de la disparition de la carte de la Gaule sur Russia Today et Valeurs Actuelles. Ces commentaires seraient risibles s’ils n’étaient pas à la frontière du complotisme et valent leur pesant de Garum, lequel était, rappelons-le, de la chair ou des viscères de poisson, voire des huîtres ayant fermenté longtemps dans une forte quantité de sel. Et le sponsor officiel du Tour d’Italie d’Astérix et Obélix.
D’ailleurs, pour revenir sur le terrain de la critique et la quête corse d’Astérix, ce qui faisait le sel justement des albums de Goscinny (l’incursion du contemporain et l’utilisation subtile des anachronismes pour délivrer des sous-textes à la vraie dimension sociale et politique) n’est pas absent de ce Transitalique. Mais trop timidement peut-être, par petites séquences dans ce road trip italien qui, de Modène à Naples, convie des nationalités européennes (et au-delà) sous la férule romaine dans une grande grande course autour de Rome « ouverte aux auriges de tout le monde connu, y compris aux barbares » (ces derniers ne manquant pas de promettre au détour d’une case qu’ils reviendront « incendier et piller »)…
Jusqu’au banquet final, ce nouvel Astérix est donc servi par deux auteurs au meilleur de leur forme : Didier Conrad maîtrise ses personnages et les codes graphiques de l’univers d’Uderzo, Jean-Yves Ferri confirme avec ce troisième album sa capacité à faire plus que « marcher dans les pas de », scénariste idéal de ce tour chez les italiques qui selon Obélix manque singulièrement de Romains. Mais pas de caractère.

Jean-Yves Ferri et Didier Conrad, Astérix et la Transitalique, d’après les personnages créés par Goscinny et Uderzo, 46 p. couleur, Editions Albert René, 9 € 95