November 30, 2014 (Fifty-Three Days, journaux américains, 43)

© Franck Gérard. Avec le soutien de l'Institut Français et de la ville de Nantes

LOS ANGELES /Seventeenth day

Je ne sais plus quoi dire. C’est juste incroyable. Même, si ce matin, je suis toujours, là-bas, dans le désert : il m’habite pour toujours. Hier, « j’énumérais » les paysages qui me plaisent. Aujourd’hui il a plu. La pluie, le vent me manquaient ; les ciels chargés me manquaient. Les falaises aussi. J’ai tout trouvé : le soleil, le ciel chargé, les falaises, la pluie. Mais putain, c’est le paradis ici ! Je m’emporte ; j’aime bien cela. Lorsque j’ouvre les yeux, je sais déjà qu’il fait gris ; la luminosité diffère. Il se met à pleuvoir ; que vais-je (bien) faire de cette journée ? L’appareil sous la pluie ; ce n’est pas ce qu’il y a de mieux ! Où ?

Allez, direction San Pedro, vers le port de Los Angeles. Oui ! Et en plus, il y a un port gigantesque ici. Tout ce que j’aime. Arrêt, au hasard. Promenade. Pas loin du centre de cette ville. Une jeune femme vient me taxer un ou deux quarter ; ok ! Après, elle va le donner à un type. Je suis l’action, je n’aime pas cela, ce lien. Je sens bien qu’il la domine ; je déteste cela. C’est un quartier paumé. Je fais quelques images. Dont celle-ci, cette « drôle de voiture » ! Mais je ne me sens pas bien ; je sens que l’on me regarde, que je suis remarqué. Un type sort de sa caisse, dans laquelle il écoute du rap à fond. Il me dit « You’re a photographer ? », j’acquiesce, « You’re french ? », vu mon accent et mon foulard bleu à pois blanc, « Yes ». Il me dit, de manière extrêmement courtoise, qu’à son avis je devrais dégager du coin vu que tout le monde à des « guns » ; et que l’on s’en sert ! J’acquiesce de nouveau.

Le port est gigantesque. Tous les ports se ressemblent ; je n’y vais pas ; je trace vers le Pacifique. La vue est juste extraordinaire. Au-dessus de l’océan. Entre terre et mer. Un homme qui peint en contrebas, et puis les falaises, interdites, où tout le monde va. Surtout les mômes et ça me touche que tout de même on brave les interdits, ici aussi. Ça me rappelle toutes les conneries que j’ai faites ; toutes les fois où j’aurais dû mourir. Je fais à nouveau quelques contre-jours. Je zone en voiture dans les magnifiques quartiers résidentiels du bord de mer. Déco de Noël à foison. J’en vois une, délirante pour moi ; je m’arrête et demande à trois mômes si ils savent si je peux prendre l’image. C’est la maison de l’un d’eux. Il va voir sa mère et c’est OK. Mais, pas de présence humaine ; à côté, la même chose mais pas encore gonflé ; comme des cadavres de Christmas ; et les bornes d’incendie, toutes peintes sur le modèle du drapeau américain ! Je shoote et trace ! Puisque c’est le dernier jour de la voiture, même si peut-être, plus tard j’en reprendrai une, je me fais toute la côte en voiture ; jusqu’à Venice ; avec de la musique américaine à fond. Des chansons d’amour ; bien mièvres comme il faut… C’est jouissif vu le contexte. Ailleurs, je n’en suis pas si sûr.

Pendant les deux heures de route, que du soleil. Près de Pasadena où je crèche, une journée de flotte et de gris. Je sais qu’à Hollywood je peux encore aller mâcher du chewing-gum. C’est la parade de Noël, alors j’y vais, en court-circuitant ce maudit GPS, parce que maintenant, je sais où je suis. Je me gare dans une rue entre Lexington Ave et Santa Monica Blvd. Il pleut à verse. Je reste un peu dans la voiture, obligé. Mais il faut que je me dégourdisse les jambes alors je repère un abri. Le seul, dans la rue, le porche du « Los Angeles LGBT Center ». Ça me va bien ; ça me touche aussi. Je suis seul dans la nuit, à attendre que les trombes d’eau cessent. Une personne débarque ; trempée jusqu’aux os. On se présente : « Franck, Alexia ». Elle ou il me dit « J’aime bien la pluie, je suis scorpion, signe d’eau ». Je lui demande si elle est une femme ou un homme, simplement, ou « both ». « I am a girl ! ». Je lui demande si je peux la photographier car quelle rencontre ! « I don’t care ! ». Et je fais une image magnifique ; selon moi. On discute un peu ; une voiture s’arrête. Je n’existe plus pour elle. Elle fonce, « You’ve got a light ? », et elle rentre dans la voiture.

Je me retrouve seul et la pluie cesse. La rue, la rue, la rue. Je fonce vers Sunset. Je ne suis pas déçu. Des centaines de « cops » ; un hélicoptère qui balance son projecteur, devenant glamour, à cet endroit-là ; des poms-poms girls ; des fanfares délirantes ; ils ont ressorti les voitures de Starky et Hutch, de SOS Fantômes, de Retour vers le futur, de Shérif, fais-moi peur ; il y a des stars mais je ne sais pas qui sait, et je m’en fous. Des trucs gonflés de 10 ou 15 mètres dont Scoubidou. Des parades de police, de pompiers. Enfin, juste Hollywood dans toute sa splendeur, son acharnement et sa tristesse. Merde, je dois être un peu américain, tout de même, vu que je reconnais pas mal de trucs. Je ne sais pas pourquoi mais je pense à Julien Sorel, à Madame Bovary, à Vian, à Duras, à Nathalie S., à des centaines de livres. Je les imagine en machins gonflables de dix mètres. Je ris tout seul. Finalement, j’aime profondément Hollywood dans sa continuité grotesque ! Je ne peux pas dire que je me sente mal ici. La pluie m’a sauvé aujourd’hui.

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