Histoires avec héros : Van Hamme, Dany, Seron et les Zôtres (2/2)

© Dominique Bry

Après Jo-El Azara, Dany et Greg, avec Les Petits hommes de Seron, Achille Talon par Greg et une Histoire sans héros de Van Damme et Dany, second volet de notre voyage dans le passé de la bande dessinée. Ou comment la bande dessinée franco-belge a inventé en se nourrissant du monde et de sa propre histoire. Pour mieux passer à la postérité.

petitshommescouv03Les Petits hommes. On voudrait faire un raccourci facile (et assurément provocateur), la bande dessinée de Seron et Desprechins dont la première apparition remonte au 7 septembre 1967, c’est un peu la synthèse réussie entre Gaston Lagaffe, Yoko Tsuno et Buck Danny. Et pour cause : au premier chef, le dessin de Seron est franquinien en diable avec ces personnages au gros nez, semi-réalistes, qui semblent tout droit sortis des pages du dessinateur du héros sans emploi et de Spirou et Fantasio. Dans un second temps, comment ne pas noter la passion pour l’aviation et les aéronefs de toutes sortes (Mirage, Mosquito, Focke Wulfe et autres appareils imaginés pour le besoin des récits) qui émaillent les albums successifs, dessinés avec une précision incroyable. Mais ce qui prime – avec en sus une qualité de scénario hors normes signés Desprechins (Tif & Tondu), Gos (Gil Jourdan), Hao/Mittéï (Natacha, P’tit bout de chique), Walt (le Scrameustache) – c’est l’inventivité et l’humour qui se dégagent des pages des aventures de Renaud, Lapoutre, Dimanche et Cédille.

Couv_822Tout a commencé un beau jour à Rajevols quand une météorite  a réduit une grande partie des habitants au dixième de leur taille, les forçant à se rassembler en communauté sous le village, recréant, construisant une cité idéale (à taille humaine ?) à leur échelle. À Eslapion-sous-Rajevols, le crime n’existe pas, tout est fait pour protéger, préserver l’humanité des lieux et des petits hommes. La survie (en marge du monde des grands) est la question centrale et de la catastrophe sont nées des valeurs plus qu’enviables : solidarité, intérêt commun et pacifisme président désormais à la destinée des résidents.

Forte de ces qualités humanistes indéniables, la série a très tôt versé dans l’imaginaire le plus débridé, avec l’invention d’appareils volants que ne renierait pas Roger Leloup, le système D érigé en mode de vie, le tout avec une ironie certaine (quant à l’histoire avec un grand H) et une bonne dose d’humour gentiment cocardier. Sans être militante, Les Petits hommes est une série attachante, trop souvent remisée dans la case divertissement, et qui appartient désormais au patrimoine de la bande dessinée au même titre que ses illustres modèles, Gaston Lagaffe en tête.

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histoiresansheros01Histoire sans héros. On ne parlait pas encore de one-shot à l’époque de la publication de ce récit dans les pages du Journal de Tintin. Imaginée par Jean Van Hamme, scénariste alors peu connu, cette histoire sans héros est inspirée d’un film des années 60, Le Vol du Phénix, sorte de Lost ou de Survivor avant l’heure (le dessin d’ouverture de l’album n’est d’ailleurs pas sans rappeler les premières scènes de la série de J.J. Abrams). Au dessin justement, Histoire sans héros a permis à Dany de s’échapper quelque peu du cadre féérique et délirant des aventures d’Olivier Rameau pour un huis-clos étouffant dans la jungle du Mato Grosso. Ce faisant, il tire son dessin vers plus de réalisme (à la manière de Vance avec Bruno Brazil ou Forton pour Bob Morane). Même si les figures féminines ne sont pas sans évoquer sa légendaire Colombe Tiredaile, le graphisme de Dany fait d’emblée de ce récit noir un classique de la bande dessinée : décors de végétation oppressante, personnages croqués de manière à servir la narration, avec des « gueules » (un des acteurs de l’album a de faux airs de Paul Newman) expressives voire stéréotypées.

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Aujourd’hui culte, cette Histoire sans héros a bien évidemment quelques  défauts inhérents, avec le recul des ans, à la relative jeunesse de l’auteur. Par endroits, on note une tendance à la grandiloquence, au manichéisme et à la candeur qui seront corrigés (ou atténués et utilisés avec davantage de second degré dans les succès futurs de Jean Van Hamme  : XIII, Largo Winch

9782205011326-couvLe Roi des Zôtres. En 1977, Greg propose une aventure d’Achille Talon endiablée comme un James bond et lettrée comme un San Antonio. Désigné comme le successeur au 87ème degré de la couronne du Zôtrland et déjà roi de la science-diction, Achille Talon se trouve embarqué dans une course à l’abdication qui vaut son pesant de couronnements. Les dialogues à rallonge, les trouvailles linguistiques pour singer un hypothétique dialecte de bazar germano dictatorial, les mises en abyme en incise, les réflexions ironisantes sur l’ordre établi, la morale en politique et le pouvoir… Tout concourt à faire du Roi des Zôtres un des meilleurs albums de Greg, toutes aventures confondues et qui renvoie dans sa thématique (et pour cause, puisqu’il a co-signé le scénario) au QRN sur Bretzelburg de Franquin paru quinze ans plus tôt.

Capture d'ecran 2016-08-28 à 15.12.08

Le premier volet : Histoires avec héros : Jo-El Azara, Dany, Greg et les Zôtres.