Ce portrait qui a surgi sur un mur de la rue de la Villette est résolument l’empreinte, l’emblème ou encore la signature stylisée de la graffeuse Kashink. Il complète la série des portraits « genres libres » qu’elle imprime sur les murs bétonnés du Nord-Est parisien pour nous raconter autrement sa ville, son identité, nos identités. Une ville aux multiples métissages faisant exploser les codes sociaux pour nous dévoiler nos multiples facettes : féminin/masculin ; mexicain/punk ; arts tribal/moderne.

Kashink recouvre de couleurs vives des portraits photographiés, portrait dont la trace est encore visible ici au centre du graffiti puisque l’artiste a pris le parti de laisser tel quel le cou et l’encolure de la photographie originale, comme pour nous rappeler l’existence de l’être réel caché derrière les aplats de couleurs. S’inspirant de l’art archaïque du masque, elle semble vouloir faire surgir les pulsions refoulées, les identités masquées par le conformisme social : le masque ne masque pas le réel, mais au contraire le démasque pour mettre à jour nos identités archaïques. Celui qui porte un masque est sans visage puisqu’il peut porter tous les masques, tous les visages : identité universelle, métamorphique qui se joue des frontières.
Cette dualité de l’être, tout à la fois l’un et l’autre, ressort à travers la double paire d’yeux aux regards divergents, le trait marqué des sourcils redoublé par ceux de la moustache, alors que les boucles d’oreilles et les longs cheveux attachés semblent indiquer une identité féminine. La coiffure elle-même se dédouble, surmontée par une brosse punk ou iroquoise apportant une touche rock’n roll à ce portrait inspiré de l’art mexicain.
En effet, comment ne pas songer aux autoportraits de Frida Kalho (que Kashink cite comme l’une de ses influences) aux couleurs vives et jouant justement sur cette confusion des genres ? Frida accentuant l’épaisseur des sourcils et les faisant se rejoindre, métamorphosés en moustache ou silhouette d’oiseau. Pilosité masculine presque animale qu’elle renforce par le détail d’une moustache à peine esquissée au-dessus des lèvres.

Ce graf pourrait être aussi un autoportrait de l’artiste elle-même qui apparaît en public maquillée de deux traits de crayons noirs en guise de moustache, réinterprétant le féminin et le masculin pour devenir Kashink, l’artiste transgenre. Serait-ce d’ailleurs une photographie de la graffeuse qui se cache sous l’œuvre ? Question sans réponse, et tout compte fait dérisoire puisque le portrait est devenu sans visage et qu’il peut désormais contenir tous les visages.
Ce portrait réinvente la photo d’identité pour en faire un masque peint à même la peau des murs, et donne existence à une entité « genre libre » qui interroge nos propres possibilités de transgression générique et de libération créatrice. Il l’invite résolument à faire peau neuve.
Le choix des couleurs, jaunes et verts presque criards, interpelle les passants mus en spectateurs. Il ne s’agit pas de séduire mais de surgir devant les regards par des tons crus et des motifs archaïques presque maladroits, devenant en fond de simples gribouillages rappelant l’essence hirsute du graffiti. La simplicité des formes géométriques fait quant à elle écho à l’art brut, un art brutal à la fois primitif et punk, que viennent cependant adoucir les ornementations d’une parure d’apparat traditionnelle, cérémoniale ou rituelle, à même de créer une histoire, un tiers espace mythique/mystique au cœur de la géographie urbaine.