« La science historique nous laisse dans l’incertitude sur les individus ». De cette citation en exergue, empruntée aux Vies imaginaires de Marcel Schwob, Céline Minard fait un art poétique.
Au centre de son court récit, Olimpia Maidalchini (1594-1647), belle-sœur et égérie du pape Innocent X, pour un portrait en diptyque : Céline Minard nous donne d’abord à entendre sa voix, imprécatrice, violente et charnelle, puissante, avant de retracer son histoire.
Ce roman est donc d’abord une voix, toute de stupre, de malédiction, une langue épaisse et lyrique, démesurée, mêlant tournures archaïques et modernes, les registres les plus élevés et les plus bas, un tissu d’insanités et de beautés maudites, aux éclats majeurs.Chassée de Rome, condamnée à l’exil, Olimpia lance une malédiction sur Rome, omnia terrae. Elle scande et hurle sa haine, sa vengeance nécessaire, promet la peste : « tous ceux qui m’ont baisé les mains et les pieds se convulseront ce soir ». Renversant sa puissance passée en litanie du mal, du sexe et de la décadence, elle célèbre le pouvoir de son Verbe, de sa haine. Sa langue, somptueuse, est celle de la poésie du mal.
Olimpia se magnifie en « Pimpaccia et impia et putain de pape et suceuse d’Innocent et vamp, vampiria et femme à sceptre », elle glorifie la manière dont elle a porté « Innocent, mon dit X » au sommet du pouvoir. Ce « mol », elle l’a « bandé ». Elle dresse le portrait d’une Rome marécageuse et glauque, « cloaca maxima », décadente et sublime de théâtralité, de laideur, de népotisme et rancœurs. Une Rome hybride, entre Du Bellay et Baudelaire, Fellini et Pasolini, Vélasquez et Bacon, rouge et noire, immonde et magistrale.
« Si elle m’enlève le masque, cette ville de théâtre boursouflé, gonflée d’or et de stuc, hérissée de colonnes roides, de colonnes torses, gravées, plantées d’arcs à tout bout de champ grosse d’elle-même et de ses cirques innombrables, bouches et bouches de marbre purulentes, cette ville d’artifices avec sa grosse verrue dorée, sa perruque poudrée, le Vatican, je l’arrache, cette ville de carnaval continu, cette ville masque qui figura l’empire jusqu’à ce qu’il l’écrase, je l’arrache, cette ville masque que les papes remontèrent sur leur face sous les boucles de la coupole, le gros chapeau triple, la tiare, ce masque devant le monde, si elle me l’enlève, je l’arrache ».
La putain promet l’Apocalypse, une orgie de destruction, se voudrait chute et déluge. Autre nom de la vengeance et du mal.
La seconde partie du roman opère une rupture radicale : du discours au récit, d’une langue apocalyptique au procès-verbal, neutre et historique, d’une vie. Céline Minard nous offre une chronique italienne que Stendhal n’aurait pas reniée, celle d’une femme usant de son corps pour asseoir son pouvoir, sa puissance, sur un être faible et laid, son beau-frère, Giovanni Battista. Elle en fait sa chose, lui promet un avenir « plus brillant, plus rouge qu’un chapeau de cardinal », le fait pape.
(A)mante religieuse, araignée « gantée de velours jusqu’au coude », Olimpia tisse sa toile, paie, flatte, intrigue. Giovanni devient pape. « Ainsi s’ouvrit le règne d’Olimpia Maidalchini » : fêtes monstrueuses, palais, argent, passions, scandales. Splendeurs et misères d’une courtisane, dont Céline Minard cisèle le tombeau, fascinant.
Céline Minard, Olimpia, éditions Denoël, 2010, 96 p., 10 € et Rivages Poche