L’annonce du départ de Yann Barthès de Canal Plus le 23 juin prochain truste les fils d’infos en ce lundi 9 mai et pas moins de trois occurrences liées à la chaîne, à son animateur vedette et à son patron sont en tête des tendances sur Twitter (avec l’incendie de Fort McMurray et les suspicions de harcèlement qui pèsent sur l’élu vert Denis Baupin). Un retour de week-end qui pose néanmoins la question de la hiérarchisation de l’info et rappelle que l’hallali sur le clair (et l’émission de l’animateur-producteur) ne date pas d’hier.
Yann Barthès quitte Le Petit Journal et tout est dépeuplé (sauf le rayon spéculations qui lui fait le plein). Ces dernières semaines, les attaques se sont multipliées dans la presse hebdomadaire et sur Internet, sur l’air récurrent de la critique du «côté obscur» ou de l’info-divertissement, le fameux «infotainment» si décrié en France.
Avant d’enterrer en grandes pompes le programme phare de la maison Canal, retour sur cinq bonnes raisons de regretter par avance le départ de l’animateur et de la fin potentielle d’une émission qui a mis des années pour s’installer et disparaît à quelques encablures de la prochaine élection présidentielle.
Parce que rire à 20h après une longue journée de travail, c’est tout de même plus agréable que de subir le résumé par le menu de tous les malheurs du monde égrainés par les anchormen privés ou publics dans des JT dont la ligne éditoriale laisse plus d’une fois perplexe en faisant leur une avec le beau temps qui revient ou la pluie qui arrive le jour de la disparition d’une personnalité ou d’une échéance politique ou économique cruciale.
Parce que l’«infotainment», ce n’est pas sale. Quoi qu’en disent les politiques qui aiment dire du mal de la télé quand ils passent à la radio et réciproquement, l’exercice qui consiste à mixer sérieux et humour ne procède pas d’un manque de respect ou d’une absence de déontologie, c’est un genre télévisuel à part entière que les Anglo-saxons maîtrisent de longue date et que seuls de rares aventuriers hexagonaux ont tenté d’importer en France avec plus ou moins de succès. Question de culture assurément, le Daily Show de Jon Stewart (désormais présenté par Trevor Noah) ou le Colbert Report de Stephen Colbert sont de petits bijoux de dérision et d’humour – la viralité des rediffusions sur Internet l’atteste, même en France. Le Petit Journal a souvent été taxé de participer d’une «désacralisation» (sic) de la classe politique. Ce qui est incongru dès lors qu’objectivement, les journalistes et les auteurs du programme n’ont souvent pas besoin de forcer le trait tant les politiques eux-mêmes y parviennent seuls…
Parce que le «fact-checking», c’est bien. La preuve : les Décodeurs du Monde, Le vrai du faux de France Info, Désintox sur Libé ou L’œil du 20 heures sur FranceTVinfo… Les grands médias l’ont compris, décortiquer la parole politique, pointer les mensonges avérés et exhumer les archives pour dé-banaliser la communication réglée au millimètre des tribuns professionnels est nécessaire à une époque où tout se dit sans filtre et sans contradiction (ou si peu) si l’on n’y fait pas attention. Qui plus est, Le Petit Journal est un des premiers à avoir su repérer et souligner les fameux éléments de langage et la langue de bois. Ce qui lui vaut en retour une stigmatisation partisane dont l’émission s’amuse la plupart du temps, mais qu’elle subit jusqu’à l’insulte et la violence parfois.
Parce qu’ils sont rares les médias qui critiquent ouvertement le Front National. Si l’on met de côté le comique de situation induit par des séquences telles Notre belle famille, les sujets qui traitent du parti et de ses dirigeants produisent invariablement un rire jaune quand on découvre les discours racistes, homophobes, xénophobes des militants ou de certains de leurs élus. La critique en retour ne se fait pas attendre, Marine Le Pen fustige les méthodes, résilie son abonnement à la chaîne, le parti refuse d’accréditer les journalistes et de répondre aux questions du Petit Journal. L’élue régionale et européenne parle de «malhonnêteté intellectuelle» et de «préjugés» et catégorise souvent l’audience du programme (les fameux «bobos méprisants de Canal+») dans une entreprise de division et d’opposition systématique des Français. Tout en illustrant la conception du journalisme en vigueur au parti : la liberté d’expression, oui, mais pas pour ceux qui diraient du mal du FN… Ce qui à l’international, de la Roumanie à l’Angleterre en passant par le Canada, est un peu plus compliqué à maîtriser. Ce qu’a souligné Le Petit Journal avec force.
Parce que Martin Weill aux quatre coins du monde, Eric et Quentin, Panayotis Pascot, Catherine et Liliane. Divertir, faire rire, c’est tout un art et informer, un sacerdoce, qui plus est dans une quotidienne. Il suffit de regarder Touche Pas à Mon Poste trois minutes de suite pour s’en convaincre.
Derrière la question de l’avenir de Yann Barthès et de son émission (qui rappelons-le n’était à ses débuts qu’une pastille de 5 minutes dans feu Le Grand Journal de Michel Denizot avant de s’agrandir et de réaliser des audiences à faire pâlir le vaisseau amiral présenté aujourd’hui par Maïtena Biraben) se cache bien évidemment celle du devenir du «clair» sur la chaîne à péage. Et au-delà, du devenir de l’humour politique et de l’info-divertissement à la télévision française. Si l’on devait lister les derniers îlots de résistance après la mise au placard crypté des Guignols (quand bien même la qualité n’est plus au rendez-vous depuis des lustres) et les menaces qui pèsent sur Groland, on serait bien en peine de trouver un exemple de programme efficace dans la forme et portant un regard acéré sur le fond. Ce qui avec l’arrêt du Petit Journal va manquer le plus.
Edit : Deux heures après la dépêche AFP annonçant le départ de Yann Barthès, Canal Plus communique à son tour et assure que l’émission va continuer dans une formule «rénovée».
Mais sans Yann Barthès qui proposera une nouvelle émission quotidienne d’actualité et de culture sur TMC et un rendez-vous hebdomadaire sur TF1, deux émissions produites par Bangumi, la société de production de Yann Barthès et de Laurent Bon, qui produisait LPJ.