Cas d’espèce, cas isolé ou cas pendable ? Avant toute chose, Le Cas Annunziato premier roman de Yan Gauchard, est un objet littéraire aussi plaisant qu’intelligent, qui interroge en outre discrètement notre mode de vie moderne, intempestif, surconnecté…
L’occasion aussi de se replonger dans une atmosphère florentine dans l’ombre comme dans la lumière.
Florence donc. Ses musées, ses ruelles, ses saveurs, ses couvents et ses fresques que l’on admire de tous côtés. Vouloir en contempler certaines de trop près peut néanmoins s’avérer plus risqué que ce que l’on pense a priori. Particulièrement celles peintes dans les cellules du musée national San Marco, que Fabrizio Annunziato visite avec un couple d’amis. Tout commence par une farce, que lesdits amis entendent jouer à leur camarade : se trouvant sur place au moment de la fermeture des lieux, qui commence par le verrouillage des cellules, ils profitent de l’absorption de leur ami dans la contemplation d’une œuvre pour le faire enfermer. Par un tour de passe-passe dont une certaine invraisemblance ne diminue en rien notre plaisir de lecture, ledit Fabrizio se retrouve à passer la nuit reclus dans cet ancien couvent désormais désert. Or, cette nuit précédant les jours de fermeture hebdomadaire du musée, la réclusion risque de se prolonger.
Ceci étant dit, ce ne sont pas tant les faits qui nous interpellent que la réaction dudit Fabrizio, traducteur de son état. Une fois la perplexité et la panique passées, il trouve une forme de soulagement, de satisfaction dans cet enfermement d’abord involontaire qui se transforme en retraite consentante.
Cela nécessite certes quelques aménagements avec les nécessités matérielles du quotidien. Mais outre que la débrouillardise tapie au fond de chacun d’entre nous ressurgit irrémédiablement dans l’adversité, Annunziato s’accommode rapidement de cet isolement propice à la réflexion, qui lui permet de se plonger pleinement dans la traduction qui lui a été commandée, pour laquelle il a pris du retard… Une position d’ailleurs idéale pour un traducteur, dont le travail consiste pour une grande part à se mettre à l’écoute des voix des autres pour les restituer au plus juste.
S’il est ainsi question d’ouïe, Fabrizio ne se prive pas non plus d’employer ses yeux pour observer la rue, son agitation ou son silence, et surtout les cuisines du restaurant d’en face dont la serveuse devient sa discrète complice, principale pourvoyeuse de vivres. L’imaginant ainsi immobilisé entre quatre murs, voyant sans être vu, on ne peut s’empêcher de songer à James Stewart, sa jambe plâtrée et as longue vue dans Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock. Un parallèle qui semble d’autant moins farfelu que l’on décèle d’autres clins d’œil cinématographiques au fil du livre. Ne seraient-ce que les patronymes de deux personnages secondaires et néanmoins cruciaux : Gassman (le directeur du musée) et Loren (employée du même musée). Tous deux liés par l’enfermement d’Annunziato au sein des murs qu’ils arpentent jour à après jour, mais aussi par l’ombre de géants de la grande époque du cinéma italien : Vittorio Gassman et Sofia Loren. Après les fresques de Fra Angelico, le cinéma, autre art de la représentation, guide l’écriture du premier roman de Yan Gauchard.
Le Cas Annunziato ne saurait cependant se lire uniquement comme une simple variation stylistique et esthétique, dans une Italie moderne, s’efforçant de collecter les traces d’un passé flamboyant.
Car une fois évacuées les questions matérielles de la réclusion, et son travail avançant, l’actualité politique se rappelle à Fabrizio. Tandis qu’il demeure en retrait du monde – de manière par ailleurs tout à fait illégale – dans un lieu monastique séculaire, les rues grondent de cris et de soulèvements tous contemporains contre le gouvernement en place – ceci donnant au passage l’occasion de tacler discrètement les décisions d’un certain Berlusconi et d’une mondialisation dont les dérives ont été combattues à Gênes en 2001.
L’irruption de tels événements au sein d’une intrigue a priori plus « littéraire », penchant vers le polar, peut décontenancer de prime abord. Mais le télescopage de ces deux réalités semble moins saugrenu dès lors que sont ainsi mis en parallèle l’enfermement finalement volontaire de Fabrizio Annunziato et celui, subit, des manifestants emprisonnés. Comme deux formes de contestation du réel, l’un par l’effacement au moins temporaire, l’autre par la manifestation, l’occupation des espaces extérieurs.
Deux formes de résistance et d’actions répréhensibles qui vont de surcroît se rejoindre par un retournement final qu’il serait malvenu de dévoiler.
Ainsi en va-t-il de cet objet romanesque, un cas indéniablement littéraire qui, sous des abords loufoques toujours maitrisés au millimètre, interroge aussi de manière sous-jacente une certaine forme d’occupation des sols, et des murs, contemporains.
Yan Gauchard, Le Cas Annunziato, éd. de Minuit, 128 p., 2016, 12 € 50 – Lire un extrait
Et retrouvez ici le Grand entretien de Yan Gauchard avec Johan Faerber