« L’Art et le Chat » de Philippe Geluck : hommages (et désintérêt)

Philippe Geluck © Christine Marcandier

L’Art et Le Chat fait partie de ces livres qu’on aurait voulu défendre, qu’on aurait aimé aimer… Un de ces ouvrages un peu prétexte mais pas trop qui permettent à l’auteur d’adapter, revisiter (voire recycler), mettre en miroir les œuvres (au féminin) des uns et son œuvre (au masculin). Certes, le postulat est intéressant, pour ne pas dire séduisant, quand Philippe Geluck annonce qu’il avait envie de partager sa passion de la peinture, de la sculpture, son amour pour certains artistes qui lui « donnent le frisson absolu (…) Basquiat, Rembrandt, Soulages, Pollock, Bacon, Picasso… ». Comme disait Agamemnon devant son propre masque mycénien : « regarde où ça nous mène, hélas ».

Philippe Geluck © Christine Marcandier

En introduction de L’Art et Le Chat, dans une sorte d’auto-interview en mode selfish, l’auteur explique « que Le Chat s’est intéressé à l’art depuis ses premières apparitions ». Laissant planer le doute sur un éventuel problème de grammaire et de complément d’objet direct mal placé, Philippe Geluck croit judicieux de préciser que Le Chat (son personnage) s’est intéressé à l’art depuis les premières apparitions de l’art lui-même… Vanitas vanitatum et omnia vanitas. Quand iconoclaste tend à rimer avec Ecclésiaste, la déception n’est pas loin.

L’Art et Le Chat, en définitive, qu’est-ce que c’est ? Un album de bédé ? Un catalogue d’exposition ? Un succédané d’encyclopédie pour rire ? Un « truc inclassable » — dénomination parfois positive dans les articles critiques mais qui permet de garder une certaine distance pour ne pas avoir à dire que c’est un tantinet raté ? C’est un peu tout cela à la fois. Bien sûr, on ne niera pas l’intérêt réel de Philippe Geluck pour l’art avec un grand A et les notices explicatives de Sylvie Girardet sont des entrées didactiques éclairantes tandis que PG (aka Philippe Geluck) fait son intéressant en commentaire. Comme avec « L’autre discobole » :

Elles sont rares les sculptures de l’Antiquité à nous être arrivées entières jusqu’ici. (…). Aujourd’hui encore, c’est le grand bonheur des abrutis de Daesh que d’anéantir des trésors archéologiques bâtis par leurs propres aïeux (…) Le Discobole, lui a traversé le temps mais n’a toujours pas trouvé de tourne-disque.

© Philippe Geluck / Casterman

Comment vous le dire Philippe Geluck ? Que ne vous êtes-vous évité cette punchline faible et passée et repassée de mode, en mêlant considération outrée (à bon compte) sur les exactions de Daesh et un jeu de mot à l’effet comique discutable sur les jeunes générations qui ne savent même pas ce qu’est un tourne-disque. Même s’il est vrai que la vanne était moins facile à l’heure des iPod ou de Spotify… Et c’est là que le bât blesse dans cet Art et Le Chat aux intentions potentiellement nobles. L’ensemble manque cruellement d’humour, de finesse et d’humilité. Boudin, Arcimboldo, Carracci et Van Gogh ne méritaient pas cela :

Les premiers tableaux de Van Gogh ne sont pas terribles. (…) Les Mangeurs de patates et autres scènes tristounettes peintes dans des bruns pas très joyeux, je préfère pas (…) Et puis honnêtement, est-ce qu’on a envie d’avoir dans son salon l’image de gens qui mangent des patates ? Déjà que chez nous, à la maison, ma femme en fait trois fois par semaine !

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© Philippe Geluck / Casterman

Le lecteur avisé passera donc rapidement sur les monologues félins à la vis comica poussive et les reprises de dessins déjà parus ici ou là mais pourra trouver son compte avec les anecdotes et rapides historiographies signées Sylvie Girardet. Et le critique de se demander en refermant ce livre si ce qu’il vient de lire est de l’art ou du chaton…

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© Philippe Geluck / Casterman

Philippe Geluck, L’Art et Le Chat (dossier : Sylvie Girardet), 72 p., Casterman, 14 € 50