Voici un livre étonnant que publient à Liège les éditions Fourre-Tout : il est fait de 500 feuillets encollés les uns aux autres et réunit les archives d’un projet de transformation en musée d’art moderne et contemporain du vieil Arsenal de Maubeuge. C’est là qu’au terme de diverses péripéties devait naître un Centre Pompidou Mobile — bien moins coûteux que le Pompidou de Metz. Mais ce projet, écrit Emmanuel Caille, rédacteur en chef de la revue d’A qui rapporte les faits en introduction au volume, a été emporté avec pertes et fracas par l’élection qui remplaça en mars 2014 un maire socialiste par un maire UMP-UDI.
C’est sous le titre ironique de Dé-Livré (on livre un bâtiment que l’on a construit) que se présente ce drôle de volume qui accumule des documents préparatoires comme autant de preuves d’un long et exigeant travail qui se termina en projet avorté. Et c’est comme un petit monument célébratif : le Centre Pompidou Provisoire de Maubeuge a bien failli exister.
Tout en largeur, le volume est emballé dans une couverture mobile elle aussi, qui sur son côté noir et blanc vaut comme note d’intention et sur son côté rouge prend une allure de manifeste. Et on peut lire sur le premier côté : « Ce livre est publié comme l’aboutissement d’un projet qui vient clore plusieurs mois d’études et d’engagement par les auteurs du Centre Pompidou Provisoire de Maubeuge. Tout est dans le titre : un bâtiment qui ne sera jamais livré, un livre pour raconter l’histoire et dénoncer l’absurde par une déambulation hypnotique à travers 500 pages d’archives. »
Rappelons quelques étapes de l’affaire. Après diverses péripéties et un concours final, la rénovation en musée de l’Arsenal se voit confiée à l’Atelier liégeois Hebbelinck-de Wit et aux architectes lillois Hart-Berteloot. L’Agglomération locale est le commanditaire de l’ouvrage. Il s’agit donc d’exploiter les ressources d’un bâtiment militaire conçu par Vauban avec les fortifications de la ville. Une ville qui a été sinistrée à deux reprises au cours des temps : par la guerre de 40-45 et par la désindustrialisation du Nord-Pas-de-Calais. Mais aujourd’hui Maubeuge veut renaître ; elle lorgne vers le succès de Lens-Louvre et est par avance associée à l’année européenne de la culture que va connaître une autre voisine, la wallonne Mons en Belgique. Tout s’annonce donc bien pour les architectes associés et d’autant que l’Arsenal a beaucoup d’allure au centre ville et en bord de Sambre — voir sa longue façade et sa construction en hauteur. Survient alors cette proposition d’un Pompidou Temporaire qui sera expérimenté de deux côtés, Malaga pour l’Espagne et Maubeuge pour la France, et cela durant quatre années. Les duos d’architectes s’adaptent à la situation et prévoient un budget raisonnable pour une municipalité éprouvée. Et puis patatras, surviennent les élections, le changement de majorité et les ententes financières difficiles. Malaga se fera et non pas Maubeuge.
Ce qui émeut le lecteur de Dé-livré, c’est avant tout l’idée que la masse de travail représentée par les 500 feuillets (dont certains documents superbes) n’aura abouti à rien. Tout ça pour ça… Les travaux préparatoires auront coûté à toutes les parties en fin de compte. Mais s’il n’y avait que cela. Or, c’est toute une politique publique des arts et de la culture que stigmatise le texte manifestaire (rouge). Rien que pour la France, que de projets muséaux de tout calibre abandonnés au fil des ans ! Et le texte d’en donner des exemples précis. Ce qui joue ici, c’est d’abord une certaine gabegie politico-administrative. Plus précisément, le fait que la gestion des projets publics s’accompagne d’errements qui se traduisent facilement par une inflation astronomique des budgets en cours de route : voir par exemple le triplement budgétaire de la Philharmonie de Paris. Plus catastrophique encore, le cas des projets conçus en vue d’un rendement électoral et qui se trouvent annulés par l’irruption d’une nouvelle majorité dans des situations où les sources de financement s’enchevêtrent. Et l’on pourrait poursuivre : les édifices publics à destination culturelle sont rarement en de bonnes mains et l’argent manque…
Ce qui ramène à l’Arsenal de Maubeuge, à sa rénovation conçue de façon intelligente et à l’échec final. Un exemple douloureux et décourageant pour les professions de l’architecture qui choisissent la voie difficile des offres publiques. Et pendant ce temps, la Fondation Vuitton investit un milliard d’euros ou presque pour un musée d’art aux portes de Neuilly.
Depuis Maubeuge, il ne reste qu’à nous rendre à Mons, où tant de choses sont à voir, depuis l’expo Verlaine Cellule 252 au BAM jusqu’au magnifique The Passenger, portail arborescent d’Arne Quinze en pleine rue à côté de la maison Losseau.
Emmanuel Caille, Mathieu Berteloot, Pierre Hebbelinck, Dé-livré, Centre Pompidou provisoire de Maubeuge, Liège, éditions Fourre-tout, juin 2015, 500 p., 30 €, bilingue français, anglais.