Fable : « comme un cas d’école » (1)

oh © Christine Marcandier

En arrivant à l’école des primaires ce matin, Monsieur Galuchet est d’humeur sombre. L’instituteur va devoir affronter sa peur et les élèves des petites classes qui vont l’assaillir de questions sur ce qui s’est passé vendredi 13 novembre à Paris. La vérité, c’est que des terroristes ont attaqué lâchement des innocents et ont plongé le pays tout entier dans la sidération et la douleur. Mais ce matin il va devoir essayer de comprendre les tensions qui agitent l’école de la République : durant le week-end, il a entendu et lu des réactions qui lui ont fait dire que l’unité nécessaire pour face aux événements était loin d’être acquise.

Vendredi soir, alors que les attentats venaient juste d’avoir lieu, le petit Gilles Bercolard (un fayot de CM1 qui n’est jamais le dernier pour la provocation) a aussitôt appelé à voter pour son mouvement lors des prochaines élections des délégués régionaux. Le drame était encore en cours et la liste des tués pas encore définitive que l’histrion tirait déjà la couverture à lui et entendait profiter de la situation pour rameuter des partisans à sa torve cause. Tous les moyens ont été bons pour justifier sa fin abjecte : il a appelé à la démission, intenté des procès en traîtrise, récupérant l’évènement sans rougir à des fins électoralistes – tandis que les rues de Paris se teintaient du sang des innocents.

Dans la foulée, d’autres cancres ont également donné raison à l’adage selon lequel « il vaut parfois mieux se taire au risque de passer pour un imbécile plutôt que de parler et ne laisser aucun doute à ce sujet ». Le respect et la décence ne faisant pas partie de leurs préoccupations principales, les petits Louis A., Lionnel L., Louis S., Stéphane R. et Nicolas B. y sont également allés de leur parole oblique à l’endroit du président du conseil des écoles : « Irresponsable ! », « la faiblesse et l’incompétence… devient un danger mortel », « Paris c’est Beyrouth » – « encore un qui va avoir une bonne note en géographie », s’est dit Monsieur Galuchet. Le pompon revenant aux redoublants Philippe et Nadine : le premier est persuadé que « mosquéïsation » peut lui rapporter 56 points au scrabble et la seconde se voyait encore récemment comme une « Michel Charasse blanche », ce qui ne veut strictement rien dire et n’est pas très gentil à l’endroit de son aîné. Les deux se sont mis en avant comme personne sur l’air de « je vous l’avais bien dit », pataugeant dans leur propre bêtise au lieu de faire profil bas et de se recueillir.

Non, décidément, ce n’est pas gagné chez les primaires. Toute une éducation est à refaire. Alors que le vivre ensemble est aujourd’hui mis à mal par l’obscurantisme, une poignée de gamins et gamines sans cervelle jettent de l’huile sur les feux pour servir leur cause ou leurs intérêts personnels. Monsieur Galuchet se dit aussi que Nico Lahesse n’est pas tout blanc dans cette histoire même s’il avait juré avoir changé et définitivement cessé de faire l’école buissonienne. Après avoir souhaité un débat sur l’identité nationale quand il était président de l’UMP (l’Union de ceux qui jouent à la Marelle sous le Préau), après avoir ouvertement copié sur Marine (qui fait tout pour jouer dans la cour des grands), après avoir tenté de se reconvertir dans le comique troupier, Nico Lahesse a fini par retrouver son naturel. Encore récemment, il s’était illustré en comparant la question des réfugiés avec un vulgaire problème de robinet qui fuit. Prouvant au passage l’étendue (très limitée) de ses compétences pour résoudre des problèmes complexes. Qu’importe. Vendredi soir, il fallait l’entendre parler comme s’il était encore président. « Nous ». « La France ». Seul comptait pour lui d’occuper le devant la cour de récré, d’éclipser définitivement son copain Jean-François et de barrer la route à François F. et Alain-Jules P., ses ainés et rivaux gênants dans la course à la présidence de 2017… C’est pathétique. Mais ça commence à se voir.

Mais ce qui effraie le plus Monsieur Galuchet, c’est que la belle unité née en janvier dernier n’a pas vécu assez longtemps pour que l’on retienne la leçon : céder aux sirènes de Marine (première de sa classe en arts plastiques avec son travail de repli sur soie), écouter (voire jouer) les diviseurs, se fermer aux autres, attiser les haines (on garde en mémoire l’affaire du pain au chocolat de Jean-François C.) a toujours été contre-productif. Et la réaction de Marine, qui se pavane à l’envi depuis qu’elle a évincé son père des réunions de parents d’élèves a de quoi faire craindre le pire : affectant une inhabituelle retenue, elle continue d’attiser la peur, stigmatise à tour de bras tendus, elle est toujours persuadée que Maastricht est un gros mot (« arrêtez de me traiter de Maastricht ! », répète-t-elle inlassablement) et croit dur comme le rideau de fer que « l’espace Schengen » est un modèle de voiture familiale fabriqué en Chine.

Néanmoins, l’instituteur des primaires espère que les autres élèves, moins bavards et moins avides de faire parler d’eux – la grande majorité donc – saura faire la part des choses et de laisser les Gilles Bercolard, Marine, Lionnel, Louis et Nadine dans l’indigence qui leur sert de mode de pensée. Il compte en revanche sur l’intelligence de l’école tout entière pour résister. Surtout à la tentation de la facilité.

En passant la grille, Monsieur Galuchet regarde la devise qui orne le fronton de l’école de la République. Il se dit que face au terrorisme comme face aux pourfendeurs de l’unité nécessaire et aux contempteurs du savoir-vivre ensemble, ces trois mots « liberté, égalité et fraternité » sont la meilleure et la seule réponse.