Après Central Park et Demain, Guillaume Musso n’en finit pas de courir après son grand roman américain, installant ses intrigues à l’eau de rose bonbon au cœur de la grosse pomme, préférant l’agitation hudsonienne au tumulte germanopratin. Dans L’instant présent, il convoque même Stephen King dès l’épigraphe. Ce qui n’est pas sans risque.
Pour L’instant présent, Guillaume Musso, le Chevalier de l’ordre des arts et des lettres décoré sous le ministère de Frédéric Mitterrand, a une fois de plus choisi New York comme épicentre de son nouveau tourbillon scriptural. Ce qui fait dire à Marianne Payot de L’Express que c’est un « roman efficace qui se lit en moins de 24 heures (sic) » ; à Cassande Dupuis du Figaro qu’il [Guillaume Musso] « est bien le maître du suspense » et à Jérôme Vermelin de Métro que c’est « peut-être son meilleur livre » (tout ceci évidemment reproduit en 4ème de couv).
Tout est dans le « peut-être ».
C’était probablement (avec une subtilité toute relative) le but recherché par Guillaume Musso : se placer sous l’égide du maître de la littérature fantastique, Stephen King, pour mieux guider ses lecteurs (les prendre par la main serait plus juste) dans les méandres d’un récit placé sous le signe du voyage dans le temps, des amours contrariées et de la filiation. Tout un programme. Un programme qui tient pourtant sur une carte de visite ou un post-it et le rabat de la couverture du livre paru chez XO annonçant un « thriller psychologique vertigineux au final stupéfiant ». Mais le lecteur de romans à suspense n’est pas totalement idiot et a gardé en mémoire la trame de 22/11/63 (dans lequel un professeur d’anglais découvre un passage dans le passé niché au fond de la cave d’un restaurant d’une petite ville du Maine), et la comparaison ne joue pas en la faveur du Français. Le vertige se transforme très vite en apnée du sommeil et le stupéfiant en substitut nicotinique.
En 1991, Arthur Costello a vingt-six ans, il est médecin à Boston et, entre beuveries et flirts, a « le visage mangé par la barbe, les cheveux hirsutes, le regard creusé par les cernes, le manque de sommeil et l’abus d’Apple Martini ». De son côté, Guillaume Musso a la formule lapidaire passe-partout mâtinée de poésie de quatre sous et le style mangé par l’abus d’images faciles.
« le soleil éclaboussait le pare-brise »
Monsieur Musso, le soleil n’éclabousse pas les pare-brise, il peut éblouir, projeter, darder ses rayons, ces derniers pouvant (à l’extrême rigueur) moucheter les vitres des voitures de la calandre jusqu’à la lunette arrière si ça leur chante. Mais éclabousser, non.
Un lendemain de cuite, Arthur Costello retrouve son père, Frank, qui lui demande de signer un étrange pacte en vue de sa mort prochaine (mais pas si imminente que ça en fait) : il lui lègue par avance le 24 Winds Lighthouse (une bâtisse qu’il tient lui-même de son père disparu) en contrepartie de son engagement à ne jamais le vendre quoi qu’il advienne. Et, condition surnuméraire tout aussi mystérieuse, en lui promettant de ne jamais ouvrir une certaine porte murée depuis longtemps au sous-sol de l’édifice familial.
L’intrigue se met en place — et le lecteur en quatre pour oublier les premières pages de 22/11/63 —, Guillaume Musso, bon élève, entend dépasser le maître : sa porte à lui ouvre non pas sur le passé, mais (accrochez-vous, ça dépote) sur le futur et invariablement à New York alors que l’instant d’avant il était à Cape Cod ou dans les faubourgs de Boston.
Peu après la page 41, alors qu’un « sang de glace courait dans [ses] veines », Arthur Costello décide de briser l’interdit paternel et se retrouve téléporté dix ans plus tard. Un peu plus loin (ou un peu plus tard), le périple spatio-temporel tient davantage des Visiteurs 2, Les couloirs du temps que de Terminator Genisys. A la 144ème page (moment où est révélé le pourquoi du comment), la course effrénée du personnage principal se transforme en promenade dominicale entre chien et loup à un train de sénateur. Ce qui s’annonçait comme un parcours-contre-la-montre-implacable-de-la-malédiction-de-la-porte-du-temps-qui-s’enfuit-et-qui-empêche-d’aimer (parce-que-son-lourd-secret-ne-fait-rien-qu’à-le-pousser-un-peu-plus-vers-un-autre-lui-même-qui-ne-serait-qu’un-avatar-putatif-de-ce-qu’il-aurait-pu-être-si)… (le si en Stephen King dans le texte) n’est en fait qu’une succession de clichés scéniques et de phrases d’une platitude à faire pâlir le pays de Jacques Brel. Tout cela pour tendre vers un sommet jamais atteint : l’écriture d’un livre dans le livre (!!).
Car, au risque de décevoir les lecteurs tentés par l’aventure, dévoilons sans honte l’artifice ultime, quand Guillaume Musso ose en dernier ressort nous asséner un final sur le mode « je vous ai bien eu, ce n’était pas vraiment lui qui parlait, c’est un des personnages qui lisait le roman écrit par Arthur Costello au cours de ses pérégrinations ». Et pour bien nous le prouver, Musso nous assène des coupures de presse, après avoir pourtant écrit page 2 : « dans la vie, ne fais confiance à personne »…
On peut être fasciné par l’Amérique et New York, les voyages dans le temps et les paradoxes nés de ces derniers. On peut. On peut aimer la littérature fantastique et le thriller au point de vouloir apporter sa pierre à l’édifice, quand bien même les fondations ont été posées il y a bien longtemps (souvenons-nous deux secondes du cycle arthurien quand Merlin change le cours des événements). Mais de là à se rêver en H.G. Wells (sous Lexomyl) ou en Stephen King (d’importation), il y a une marge. Et ce n’est pas faire offense aux 18 millions de lecteurs dans 36 langues des précédents ouvrages de Guillaume Musso que de dire qu’il y a bien mieux à faire que d’ouvrir (et de finir éventuellement) L’instant présent.
Guillaume Musso, L’instant présent, XO Editions, 374 p., 21 € 90 — Lire un extrait