Indéniablement, Antoine Wauters a signé avec Mahmoud ou la montée des eaux un très grand roman, qui sort en poche chez Folio. Véritable splendeur de langue, bouleversante épopée d’un homme pris dans plus d’un demi-siècle d’histoire de la Syrie, chant nu sur la nature qui tremble devant l’humanité et sa rage de destruction : tels sont les mots qui viennent pour tâcher de retranscrire la force vive d’un récit qui emporte tout sur son passage. Rarement l’histoire au présent aura été convoquée avec une telle puissance et une grâce qui ne s’éprouve que dans un déchirement constant. A l’occasion de cette sortie en poche, retour sur le grand entretien que l’écrivain avait accordé à Diacritik lors de la publication en grand format de son roman.

Voilà un premier roman, aussi singulier que doucement novateur, hanté du charme du cinéma, de sa capacité à sonder les âmes et de sa puissance à faire surgir les drames tapis au creux des familles les plus silencieuses : Descendre vers la mer d’Isabelle Blochet qui vient de paraître aux éditions Christian Bourgois porte à son point d’incandescence cette valse incessante et terrible qui va de l’amour à la haine, en retours incessants.

La pensée de Martin Heidegger (1889-1976) insiste singulièrement dans le paysage philosophique et intellectuel. Les éditions Gallimard poursuivent leur publication régulière de ses œuvres – plus d’une centaine, toujours en cours de traduction en France – avec L’histoire de l’estre, un double traité d’aphorismes et de pensées, rédigé entre 1938 et 1940. Nous avons souhaité aller au plus près du texte dans un grand entretien avec le professeur émérite Pascal David, traducteur historique de Heidegger, qui a travaillé sur cet ouvrage.

Une rare splendeur : tels sont les mots qui viennent à l’esprit après avoir achevé la lecture du troublant premier roman de Sara Mychkine, De minuit à minuit qui vient de paraître au Bruit du Monde. La jeune romancière y raconte l’histoire tragique d’une femme perdue sur la colline du crack à Paris, qui écrit à sa fille et qui, dans sa lettre infinie, lui lance un appel désespéré.

Le personnage du nouveau livre d’Hugues Jallon, Le Capital, c’est ta vie, est pris dans une double contrainte : son moi est scindé entre ce qu’il est et ce que ses crises de panique provoquent en lui, il évolue dans deux espaces conjoints, « une contrée hostile, douloureuse » (le territoire de la panique) et le monde du capital, cet « empire de la valeur » qui le soumet puisque sa « domination » est désormais « la mesure de toute chose et de toute existence ». Un double bind en quelque sorte, si ce n’est que les deux contraintes ne sont pas contradictoires, que l’une, la panique, est le versant intime de l’autre, que toutes deux agissent sur le corps et l’esprit et exercent leur pression insoutenable, au point que tout s’effondre, en soi comme autour de soi.

Lauren Groff vient de signer le puissant Matrix, récit centré sur la figure de Marie de France, qui bouleverse les codes de la biographie comme du roman historique et enchevêtre les mondes médiévaux et contemporains, jusque dans sa langue. Le 1er février dernier, Carine Chichereau, traductrice de Matrix comme des précédents livres de Lauren Groff, a interrogé l’autrice sur la genèse de ce roman comme de Marie, femme de lettres, femme indisciplinée et comme surgie de ses livres antérieurs.

Récit qui se tient sous la ligne des sables du récit impossible, chant de l’effacement, des mots qui refluent vers le silence, dispositif mémoriel creusé par l’oubli (dispositif veillant à ne pas forclore l’oubli), troué par la blancheur d’Alger, Page blanche Alger laisse l’enfance, la mère défunte, l’Algérie, Mohammed, les Arabes massacrés durant la guerre d’Algérie se dire eux-mêmes. Les phrases qui se posent se voient soumises au tropisme du dépeuplement, de la clandestinité de vies, d’une langue taillant « la biographie d’une absence ».

Étant une inconditionnelle de l’œuvre d’Andrea Zanzotto (1921-2011), je m’étais rendue un jour d’hiver de 2019 à Pieve de Soligo, village natal du poète dans la province du Veneto. Cherchant sur place où il avait habité, je me rendais compte que personne ne se souvenait de lui. Seul le pharmacien du centre-ville où Zanzotto passait pour consulter le baromètre, se rappelait de la maison paternelle (désormais une façade donnant sur une ruine) et pouvait me fournir quelques indications sur la demeure du poète au bord du village.

1.

Avec cette lumière grise, ce vent froid et humide et ces longues réparations qui ne nous réconcilient pas avec le corps, recevoir un livre inattendu peut apporter quelque viatique susceptible d’insuffler l’énergie suffisante, non pour tourner la page (s’évader en toute discrétion), mais pour tourner les pages (de livres qui ne font pas de bruit). Retrouvant une forme de concentration, le lecteur oublie de compter le temps, même quand une pulsation régulière aux maracas se fait entendre sur de petites enceintes réglées à faible volume.

« La guerre civile du Liban, 1975-1990 » est « le sujet de la plupart de mes livres (Défaut d’origine, Terrain Vague, Un peuple en petit) », écrivait Oliver Rohe dans Devenirs du roman II (Inculte, 2014). Chant balnéaire, qui vient de paraître chez Allia, revient sur l’adolescence de l’auteur au cœur de cette guerre, alors qu’il « arrive à la station balnéaire » et « marche sur des fragments ».