C’est vrai et c’est un peu triste : depuis plus d’un siècle, aucune révolution drastique n’a eu lieu en physique. Aucune théorie radicalement nouvelle n’a été découverte – ou inventée –, infléchissant durablement notre vision de l’intime du réel. Il se pourrait que la grande rupture de notre temps soit plutôt à chercher dans la dimension interprétative. Le sens de nos modèles se révèle peu à peu. Et ce n’est pas un détail.

C’est devenu une sorte de mantra : il faut référer à la République pour que la parole acquière force et gravité. On n’en finit plus de les entendre, ces mots, proférés la main sur le cœur et réitérés le buste bombé. Il suffirait d’ajouter « de la république » pour que le discours soit investi d’une solennité confinant à la transcendance. La police de la République, l’école de la République, l’autorité de la République, l’unité de la République, le symbole de la République

Les dénonciateurs de la catastrophe écologique ont été raillés comme des « gourous apocalyptiques » annonçant indûment la « fin du monde ». C’est effectivement l’idée ce que je vais défendre ici. Mais en un sens un peu plus fin que celui de la disparition de toute vie… Et, paradoxalement, cette « fin du monde » est peut-être la seule bonne nouvelle de ce temps désastreux.

J’ai abondamment signalé la gravité extrême – le mot est presque encore un euphémisme – de la crise que nous traversons : la vie sur Terre se meurt. Aucun signe tendanciel n’est positif : malgré notre connaissance claire de cette catastrophe scientifiquement actée, chaque année est pire que la précédente. Peu de motifs d’espoir donc.

Il n’est pas nécessaire de choisir entre les peines, entre les révoltes, entre les dégoûts. Il est même toujours un peu vulgaire de les hiérarchiser. Tous sont légitimes quand ils demeurent sincères. Mais comment ne pas s’interroger sur l’immensité de l’écart qui sépare le désespoir palpable, déployé dans une authentique et émouvante sidération collective, suscité par l’incendie de Notre-Dame-de-Paris, de l’indifférence manifeste associée aux millions d’hectares de forêt sibérienne partis en fumée ?

Oui, la chair est triste, et il n’est nul besoin d’avoir lu tous les livres. Cette chair putride – restes d’animaux macérés, mélange de sang séché et d’os broyés – utilisée dans les canons à eaux des CRS pour disperser les manifestants, en France … elle dit quelque chose. Elle annonce, bien au-delà de cet infime exemple, un nouveau temps : celui du « sans limite ». Celui où la brutalité rend fière, où elle peut être assumée avec orgueil, même dans l’abject, même dans l’immonde.

Contester le désastre n’est plus guère possible. La vie est en train de s’effondrer sur Terre. La très prudente ONU parle de menace existentielle directe, les scientifiques pointent le risque d’extinction d’un million d’espèces à court terme. Il ne reste plus que quelques marginaux insignifiants pour douter de la gravité de la situation. En revanche, tout est plus complexe dès qu’il s’agit de penser les causes ou de proposer les solutions.